Boire et manger en Nouvelle-France

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Publié 27/04/2010 par Paul-François Sylvestre

Ceux et celles qui s’intéressent à la bouffe et à la boisson, à son histoire surtout, seront heureux d’apprendre que les Éditions du Septentrion ont récemment publié deux ouvrages qui brossent un éloquent portrait du boire et du manger en Nouvelle-France. Il s’agit d’À table en Nouvelle-France d’Yvon Desloges, et de Bacchus en Canada de Catherine Ferland.

L’alimentation touche au quotidien et à l’identité des gens du pays. Or, lorsqu’il est question de l’alimentation d’autrefois, ce quotidien est souvent perçu comme terne et sans saveur.

Erreur! Car l’alimentation en Nouvelle-France, comme ailleurs, varie au gré des couches sociales, des saisons, du climat et des prescriptions religieuses et change avec l’amélioration des techniques agricoles. Elle est aussi marquée par le contact des diverses civilisations qu’elle côtoie, tant autochtones qu’anglo-saxonnes.

Prêts à emprunter aux Amérindiens des ingrédients qui assurent leur survie, les colons français s’empresseront, aussitôt leur modèle culturel alimentaire bien implanté, de rejeter radicalement ces aliments.

Plus tard, au contact des Britanniques et des loyalistes, les «Canadiens» connaîtront de nouveaux goûts et adopteront de nouveaux produits.

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Bref, l’alimentation coloniale évolue, de sorte qu’on assiste à la naissance non pas d’une alimentation traditionnelle, mais de traditions alimentaires.

Histoire de mieux vous faire savourer ce bref survol des pratiques alimentaires des XVIIe et XVIIIe siècles, Yvon Desloges l’a épicé de quelques peintures et dessins d’époque tirés du répertoire canadien et européen.

Européen! N’est-ce pas une hérésie? Non, puisqu’arbres fruitiers, graines de semences et cheptel, malgré une flore et une faune indigènes abondantes, proviennent du vieux continent.

Et comme l’alimentation est d’abord affaire de cuisine, on est aussi convié à explorer et à expérimenter le goût de notre histoire à travers une quarantaine de recettes adaptées aux techniques et aux approvisionnements modernes.

En voici quelques exemples: potage au riz et coulis de lentilles, truites rissolées et ragoût de champignons, lièvre au pot et folle avoine, framboises à la crème et au sucre d’érable.

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«La cuisine, c’est la transformation de la nature en culture», au dire du grand cuisinier tourangeau Jean Bardet. N’est-ce pas là essentiellement ce que nos ancêtres se sont entêtés à faire sur ce continent depuis plus de 400 ans?

Bacchus en Canada

Peu de chercheurs se sont intéressés au boire canadien des XVIIe et XVIIIe siècles, que ce soit du côté de la circulation, de la production ou de la consommation.

Catherine Ferland y a consacré une monumentale recherche qui explore ce sujet sous toutes ses coutures… ou ses gorgées.

On apprend qu’il y a eu des brasseries domestiques, ecclésiastiques et commerciales en Nouvelle-France, que des «ersatz de vin sont produits à l’occasion, à partir de bleuets, de framboises, de cerises, et même de grains de blé, de betteraves et de topinambour». Il y a aussi, bien entendu, le cidre et la bière d’épinette.

La consultation des registres d’importation indique que La Rochelle fournit presque la totalité du vin au XVIIe siècle, Bordeaux la supplantant au XVIIIe siècle.

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On remarque que les goûts de la métropole se transposent dans la colonie; ainsi, le vin blanc perd sa popularité au profit du vin rouge, surtout «les gros rouges qui tachent la nappe».

Le second quart du XVIIIe siècle voit surgir les anisettes, les muscats, les vins madérisés et, bien sûr, les champagnes. Toute cette importation n’empêche pas les Canadiens de fabriquer «des boissons nouvelles comme le rossoli d’eau d’érable».

Les modes de consommation sont fonction du pouvoir d’achat. Le cabaret est fréquenté autant par les citadins qui y viennent chaque jour que par les colons ruraux «qui s’y livrent à de fugaces agapes dominicales».

Les matelots semblent avoir une prédilection pour l’eau-de-vie et recherchent carrément l’enivrement. Ils accumulent les rations jusqu’à avoir suffisamment d’alcool pour «s’étourdir». Les soldats aussi s’enivrent et se livrent à des excès qui obligent les administrateurs à réglementer leur consommation.

Selon l’auteure, les Amérindiens ne boivent pas «parce qu’ils apprécient le goût de l’eau-de-vie ou pour des raisons de sociabilité, mais plutôt dans le but d’obtenir les effets de l’intoxication alcoolique.»

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Catherine Ferland note que la surconsommation de boissons alcooliques des Amérindiens du Canada est un fait incontestable, puis elle ajoute que si l’enivrement exprime une résistance à l’«acculturation», il est au fond «l’instrument de l’acculturation de l’Indien par lui-même».

Ce livre repose sur une recherche approfondie et détaillée; l’auteure a consulté des dizaines de fonds d’archives québécois et canadiens, a consulté plus de 160 ouvrages et a fourni plus de mille notes de références. Bacchus en Canada jouit aussi d’un abondant complément iconographique, dont quinze reproductions en couleurs de tableaux peints par Sophie Moisan.

Yvon Desloges, À table en Nouvelle-France: alimentation populaire, gastronomie et traditions alimentaires dans la vallée laurentienne avant l’avènement de restaurants, essai, Sillery, Éditions du Septentrion, 2009, 240 pages, 29,95 $.

Catherine Ferland, Bacchus en Canada: boisson, buveurs et ivresse en Nouvelle-France, essai, Sillery, Éditions du Septentrion, 2010, 432 pages, 39,95 $.

Auteur

  • Paul-François Sylvestre

    Chroniqueur livres, histoire, arts, culture, voyages, actualité. Auteur d'une trentaine de romans et d’essais souvent en lien avec l’histoire de l’Ontario français. Son site jaipourmonlire.ca offre régulièrement des comptes rendus de livres de langue française.

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