Bob Taillefer: quand le steel a du style

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Publié 03/10/2006 par Dominique Denis

Vous connaissez la boutade? On dit de la guitare pedal steel qu’elle est employée pour nous rappeler, langoureux larmoiements à l’appui, que nous sommes en présence d’une chanson country. C’est peut-être vrai à Nashville, mais il s’agit là d’une vision trompeuse: que ce soit dans la musique hawaïenne (dès les années 1920-30), le western swing (à la Bob Wills) ou encore le sacred steel (veine ultra-jouissive du gospel afro-américain), cela fait des lustres que l’instrument a fait preuve de sa polyvalence.

Avec Bob Taillefer comme évangéliste, le pedal steel poursuit son œuvre œcuménique en investissant le créneau du jazz latin, grâce à Bob Taillefer Y Los Hermanos (autoproduction).

Mais le virtuose originaire d’Ottawa, qui a élu domicile à Oshawa (et qu’on a pu entendre aux côtés de Serge Monette et de Philippe Flahaut) n’est pas du genre à métisser pour métisser.

Hormis la juxtaposition d’instruments (steel, percus et section rythmique cubaine, pour l’essentiel), Bob Taillefer Y Los Hermanos s’en tient aux paramètres d’un jazz latin aussi conventionnel que convivial, qui se savoure tel un mojito bien frais au bord de la piscine.

Un léger bémol, pourtant: si l’on exclut quatre interludes de percussions, cette nouvelle galette frôle à peine la barre des 28 minutes.

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Avec des musiciens du calibre d’André Roy (à la guitare) et Sean O’Connor (au saxo), l’ami Bob aurait pu en profiter pour poser sa griffe à quelques classiques du répertoire afro-cubain et s’imposer, pourquoi pas, comme le Chico O’Farrill du pedal steel. www.bobtaillefer.com

Madeleine et moi

Au départ, je croyais naïvement que Madeleine Peyroux resterait toujours mon petit secret.

À l’époque de Dreamland, son premier disque, elle restait l’affaire d’une poignée d’initiés, séduits par son curieux alliage de Patsy Cline, de Billie Holiday et de pop d’inspiration 60’s.

Mais après l’effet Norah Jones, laquelle a écoulé une vingtaine de millions d’albums grâce à une recette similaire, il fallait s’attendre à ce que le plus vaste public «découvre» Peyroux, ce qui eut lieu à la sortie de Careless Love il y a deux ans.

La consécration, on n’en doute pas, viendra avec Half The Perfect World (Rounder).

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Sagement, l’interprète franco-américaine et son réalisateur Larry Klein s’en sont tenus à la formule gagnante. En fait, la principale audace de Madeleine Peyroux réside dans sa façon de sortir des chansons de leur contexte pour les passer dans son colimateur: c’est ainsi que Everybody’s Talking (souvenez-vous de Midnight Cowboy) devient ici une ballade au charme opiacé, tandis que le River de Joni Mitchell donne lieu à une lecture tout aussi langoureuse, à laquelle kd lang vient prêter sa voix d’une déchirante beauté.

Malgré quelques couacs (une lecture flasque du Heart Of Saturday Night de Tom Waits, qui glisse dans la torpeur et l’ennui), Half The Perfect World contient tellement de moments taillés sur mesure pour les ondes (l’irrésistible I’m All Right devrait faire le tour du monde) qu’il semble que Madeleine Peyroux sera désormais condamnée à devenir le petit secret de tout le monde.

Madeleine Peyroux sera au Music Hall (147 Danforth) le mercredi 18 octobre.

Neil et les frangines

Depuis les années 30, les jazzmen improvisaient sur des thèmes signés Porter ou Gershwin, c’est-à-dire sur les chansons pop de leur époque.

Si le langage rythmique et harmonique du jazz a continué d’évoluer, son répertoire n’a jamais quitté cet âge d’or, créant ce curieux décalage où un saxophoniste qui a grandi avec Bowie se tourne vers Lady Be Good ou Moonlight In Vermont dès qu’il porte son instrument à ses lèvres. Mais le guitariste torontois Kevin Breit n’est pas un vrai jazzman, même s’il négocie avec une aisance désinvolte les complexités de l’idiome. Il n’est pas, non plus, du genre à tourner le dos à un défi intrigant.

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Ayant toujours côtoyé l’œuvre de Neil Young, Breit et ses acolytes des Sisters Euclid se penchent sur une dizaine de thèmes de leur compatriote. Pourquoi Young? «Ses chansons ont de superbes mélodies et de solides structures harmoniques qui nous semblaient  »porter » les chansons sans peine», explique Breit dans la bafouille accompagnant Run Neil Run (Northernblues Music).

Le résultat, aussi éclaté que tonitruant et parcouru d’occasionnels élans de grâce mélancolique, n’est pas sans rappeler la démarche de Crazy Horse, les compagnons de décibels avec lesquels Young a signé quelques-uns de ses plus mémorables albums.

Pourtant, en plaçant l’accent sur le groove au détriment des mélodies et de la charpente harmonique, Breit semble contredire son propos, démontrant à quel point ce répertoire souffre de la transposition à un cadre instrumental (nul doute que les chansons de Dylan seraient vouées à un échec similaire).

Ce n’est pas tant que Breit et Cie aient délibérément choisi de rendre ces pièces méconnaissables, mais en voulant rendre compte du propos sans le citer (comme c’est le cas du douloureux The Needle And The Damage Done), ils sacrifient un des attraits principaux de cette œuvre.

Et pour parler bien franc, une reprise instrumentale d’une chanson comme Ohio ne fait qu’en exposer la monotonie, et regretter que le guitariste ne soit pas plutôt allé musarder du côté de Jimmy Webb ou Burt Bacharach.

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Le résultat eût été plus prévisible, certes, mais combien plus réjouissant.

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