Bellingcat : des journalistes citoyens qui décortiquent le Web

Des archéologues d'internet

Eliot Higgins, fondateur du média web d'enquêtes Bellingcat.
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Publié 23/04/2019 par Alicia Blancher

Fouiller les réseaux sociaux, tels que Facebook et Instagram, analyser les vidéos YouTube, décortiquer les images satellites de Google Earth… Voici la méthode d’investigation des journalistes de Bellingcat.

Tout commence au début de l’année 2012, lorsque le conflit syrien éclate. Eliott Higgins, un Britannique au chômage qui n’est ni journaliste ni analyste politique, crée alors un blogue pour publier des enquêtes sur les armes employées par le régime Bachar Al-Assad, réalisées à partir d’informations disponibles en ligne uniquement.

Peu à peu, il construit un site, qui prend en 2014 le fameux nom de Bellingcat (inspiré d’une fable dans lequel des souris accrochent des grelots aux chats). Avec les conseils qui y sont prodigués pour rechercher des informations sur le Web, Eliot Higgins entend développer de nouvelles méthodes journalistiques.

Les 88 minutes du documentaire Bellingcat – Truth in a Post-Truth World, à l’affiche du festival torontois HotDocs les 30 avril, 1er et 3 mai, nous plongent dans l’univers de ces citoyens qui sont au service de la vérité. Leur quotidien, leurs outils, leurs obstacles…

Eliot Higgins et ses confrères.

«La méthode Bellingcat» a le vent en poupe

Le groupe Bellingcat compte une dizaine de journalistes enquêteurs, dispersés dans le monde entier.

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Dans son documentaire, Hans Pool explore de près cette grande toile. On découvre ainsi des citoyens aux quatre coins du monde, en Grande Bretagne, aux Pays-Bas, en Syrie, aux États-Unis, etc., les yeux rivés sur leurs écrans afin de démêler le vrai du faux.

Depuis leurs révélations sur l’écrasement de l’avion du vol MH17 de la Malaysia Airlines en 2014 et l’identification des coupables dans l’affaire Skripal (ndlr: l’ex-espion russe Sergey Skripal et sa fille empoisonnés en Angleterre en 2018 par deux agents des services secrets russes), Bellingcat est entré dans la cour des grands.

En effet, des médias traditionnels s’intéressent de près désormais à leurs nouvelles méthodes d’investigation. Eliot Higgins et d’autres enquêteurs sont ainsi de plus en plus sollicités pour animer des ateliers au sein de grandes rédactions.

Mais la consécration de la «méthode Bellingcat» est marquée en 2017, lorsque Christiaan Triebert, enquêteur de Bellingcat, remporte le Prix européen de la presse dans la catégorie «Innovation». Ce dernier devient par ailleurs journaliste indépendant pour le New York Times peu de temps après.

Christiaan Triebert

«Défier les puissants»

En travaillant dans l’ombre et à partir de ressources difficilement contrôlables, Bellingcat a pour but de «défier les puissants» qui bafouent les droits humains.

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Le 17 juillet 2014, l’avion du vol MH17 de la Malaysia Airlines  s’écrase alors qu’il survole des territoires ukrainiens sous contrôle de rebelles pro-russes. Cet accident, qui fait près de 298 victimes, est au départ attribué à une attaque terroriste. Mais les enquêteurs de Bellingcat révèlent très vite que l’appareil a été abattu par un missile russe, sous les ordres de soldats russes.

Les résultats de cette investigation, qui s’est réalisée sans mettre un pied sur le lieu du drame, sont confirmés en 2017 par l’enquête du bureau de la sécurité des transports des Pays-Bas.

Si Moscou maintient ne pas être à l’origine de la destruction du Boeing, les révélations de Bellingcat ont tout de même ébranlé cette grande puissance, de plus en plus en proie aux pressions internationales.

Faire paraître en justice les responsables de ces crimes est désormais entre les mains d’autres citoyens.

À l’ère des fausses nouvelles

Si la «méthode Bellingcat» a fait ses preuves dans diverses enquêtes, elle est aussi indispensable pour s’attaquer au fléau des fausses nouvelles, un phénomène bien exposé dans le documentaire d’Hans Pool.

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Comment des pages gouvernementales officielles russes de Twitter utilisent des captures d’écran de jeux vidéo pour présenter les faits militaires en Syrie… Ou encore, comment une vidéo virale d’un petit garçon qui se fait abattre par un militaire n’est en réalité qu’une vidéo de tournage de film, etc.

En quelques clics, les journalistes de Bellingcat nous montrent comment démolir ces fabrications mensongères. Une analyse minutieuse des images qui devrait être de mise par tous et en tout temps.

Les ressources en ligne sont bien souvent sous-estimées par les médias traditionnels.

Pression et diffamation

Mais le travail de ces enquêteurs du Web ne se fait pas sans obstacle.

Lorsqu’un média traditionnel révèle un scandale, sa réputation et son pouvoir institutionnel font foi auprès du public et le protègent bien souvent d’attaques diffamatoires, ou encore de pressions extérieures.

Mais lorsque des journalistes non professionnels dévoilent une nouvelle affaire, leur crédibilité est facilement mise à mal. Preuves et transparence sont alors indispensables, mais pas toujours suffisantes. Eliot Higgins a notamment été la cible de nombreuses critiques, souvent infondées, sur les motivations de Bellingcat.

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S’ils sont aujourd’hui davantage pris au sérieux par les institutions et leurs confrères, ses journalistes restent tout de même très prudents dans leur travail, parfois risqué, comme on peut l’observer dans Bellingcat – Truth in a post-truth world. Un documentaire à ne pas rater aux HotDocs!

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