Avoir les bleus

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Publié 22/02/2011 par Martin Francoeur

Rassurez-vous, je vais bien. Je ne parle pas ici de l’expression «avoir les bleus», que l’on utilise au sens de «être triste» ou «être mélancolique». Je veux plutôt m’inspirer de la couleur bleue pour aborder la fascinante question des noms de couleurs.

Je suis allé surfer un peu sur certains sites de compagnies de peinture. Le moins que l’on puisse dire, c’est que les coloristes ont une imagination débordante. Ils inventent, au gré du jour, de nouveaux noms pour décrire chacune des teintes de couleurs qu’il est possible d’obtenir en décoration.

Heureusement que ces noms de couleurs n’entrent pas tous dans les dictionnaires parce qu’on verrait épaissir ces ouvrages à vue d’œil, année après année. Le bleu, on le sait, est une couleur primaire. Il est assez facile de la décrire. Bleu ciel, bleu royal, bleu azur, bleu pâle, bleu foncé. Avec quelques adjectifs ou noms que l’on met en apposition, on obtient déjà un bon éventail de couleurs. Généralement, on n’a pas beaucoup de vocabulaire lorsque vient le temps de parler de couleurs.

On prend souvent les couleurs de base et on se permet tout simplement de décrire les nuances avec des compositions du genre de celles qu’on vient d’énumérer. Ou alors on utilise des références plus complexes: un bleu qui tire sur le vert, une sorte de bleu entre le mauve et le turquoise, un bleu verdâtre…

Bien qu’elles soient parfois complexes, de telles constructions nous donnent généralement une idée de la teinte que l’on essaie de décrire. Mais si on se donne la peine de plonger dans le merveilleux monde des noms ou des adjectifs de couleur, on peut découvrir un univers fascinant.

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Plusieurs nuances de bleu sont reconnues par les ouvrages de référence. Ainsi, pour plus de précision dans les descriptions, on peut utiliser des adjectifs comme ardoise, azur, ciel, cobalt, indigo, lavande, marine, outremer, pastel, pervenche, saphir ou turquoise. Tous ces mots, lorsqu’employés comme adjectifs de couleur, demeurent évidemment invariables. On se doute bien que cette liste était loin d’être suffisante pour les créateurs de couleurs dans les compagnies spécialisées dans la production de peinture.

Une rapide consultation des gammes de bleu chez Sico nous permet de constater, sans toujours la comprendre, l’imagination fertile dont ont fait preuve les terminologues de la maison, pour peu qu’on puisse les appeler ainsi.

Sur le site web de Sico, on peut lire ceci: «Précurseur dans l’art d’attribuer des appellations évocatrices, Sico continue d’innover pour vous simplifier la vie. Notre recherche de noms n’est pas laissée au hasard, loin de là. Nous croyons que chaque couleur possède un sens et une imagerie propre. C’est pourquoi nous avons fait appel à une équipe de consultants spécialisés en couleur pour nous aider à trouver des appellations aussi évocatrices que stimulantes.

Ces experts ont non seulement trouvé des noms qui habillent merveilleusement bien nos couleurs, ils ont également mis au point un nouveau système qui regroupe les différentes gradations à l’intérieur de familles thématiques.» C’est bien beau tout cela. Mais qu’est-ce que ça donne dans les faits? Une orgie de dénominations stupéfiantes, poétiques, parfois évocatrices, parfois insignifiantes.

On accole parfois un simple adjectif ou un nom au mot «bleu»: bleu atmosphérique, bleu sincère, bleu téméraire, bleu innocence, bleu idéal, bleu paradisiaque, bleu absolu. Il y en a d’autres. Mais si je connais parfaitement le sens de l’adjectif «téméraire», je n’ai aucune espèce d’idée de ce qu’il veut dire lorsqu’on l’associe à la couleur bleue.

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La référence au bleu passe évidemment par le ciel et les corps célestes. On a donc des couleurs comme: étoile scandinave, ciel grec, nouvelle lune, dernier croissant et même Au clair de la lune. Oui, oui. Il pourrait arriver que vous décidiez de peindre un mur de votre chambre à coucher de couleur Au clair de la lune. D’autres nuances de bleu chez Sico portent des noms qui étonnent: flirt, mer éternelle, ombre de cobalt, sieste, frange de denim, vaisselle de Wedgewood, atoll de Fidji, soupçon de brise, Reykjavik, lueur électrique ou espoir bleuté.

Et il faudra invariablement qu’on m’explique comment le chuchotement des anges peut inspirer une couleur. Et comment insomnie est absolument une teinte de bleu.

Évidemment, ces noms sont des créations. On peut aussi, si on veut embarquer dans le jeu des coloristes et des décorateurs, les utiliser comme adjectifs invariables. Mais vous risquez de confondre votre interlocuteur ou votre lecteur. À moins qu’il soit coloriste ou décorateur…

Auteur

  • Martin Francoeur

    Chroniqueur à l-express.ca sur la langue française. Éditorialiste au quotidien Le Nouvelliste de Trois-Rivières. Amateur de théâtre.

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