Autisme : les parents se sentent abandonnés

Autisme: plusieurs manifestations et marches ont eu lieu ces derniers mois devant Queen's Park.
Partagez
Tweetez
Envoyez

Publié 10/05/2019 par Claire Besnard

Le gouvernement provincial vient d’annoncer le lancement de consultations publiques sur l’autisme en Ontario. Celles-ci prendront la forme d’un sondage en ligne et d’une série d’assemblées publiques téléphoniques. Les participants seront interrogés sur les méthodes employées pour favoriser l’apprentissage et l’épanouissement des familles, mais aussi sur les financements supplémentaires qui leur sont nécessaires.

Des manifestations ont eu lieu un peu partout en Ontario depuis les annonces du gouvernement.

Les familles pourront dresser des recommandations concernant le Programme ontarien des services en matière d’autisme, sur le rôle que devrait jouer le système éducatif, mais aussi pour améliorer les soutiens sociaux et médicaux pour les enfants autistes.

Cette annonce marque une volonté de la part du gouvernement de tempérer la situation, suite aux nombreuses manifestations qui ont eu lieu dans la province. Les parents avaient jusqu’ici la sensation de ne pas être considérés du tout et de faire l’objet d’économies injustifiées.

Pourtant, les parents ne sont pas satisfaits. En effet, le gouvernement ontarien a annoncé le 6 février la suppression de la liste d’attente des services en matière d’autisme et d’un financement direct aux familles. Ces mesures devaient prendre effet début avril en Ontario. S’en sont suivies des dizaines de manifestations dans la province.

Problèmes supplémentaires

L’annonce a eu l’effet d’une bombe puisque les familles se voyaient réduire drastiquement le financement octroyé par la province afin d’apporter les soins et prises en charge nécessaires à leurs enfants. «On va tout perdre», nous expliquait Marguerite Schabas, mère d’un enfant autiste. «Tout ce que notre enfant a comme potentiel est gâché.»

Publicité
Lucie Thibault.

Les mesures mettent certaines familles dans des situations très délicates, comme l’explique Lucie Thibault, grand-mère de Patrick, un enfant de 11 ans atteint de troubles du spectre de l’autisme et organisatrice des manifestations à Hawkesbury: «Je connais des gens qui ont dû vendre leur maison, leur voiture.»

Et pour cause, les parents de Patrick, son petit-fils, supportent un coût financier important. «Il nous faut débourser environ 42 000 $ par an pour une thérapie de 12 heures hebdomadaires, sur les 55 000 $ actuellement alloués.»

«À cela s’ajoutent les frais de transport, l’orthophoniste, la physiothérapie, entre autres. Avec les nouvelles mesures, certains vont devoir prendre en charge la quasi-totalité des frais. Avec la réforme, on gagnera six mois sur la liste d’attente, mais on perdra énormément sur le plan financier.»

Patrick, petit-fils de Lucie Thibault.

Marguerite Schabas ajoute: «Ainsi, d’un côté, le gouvernement pense faire des économies, mais il ne mesure pas que cela engendra des coûts futurs bien plus importants puisque nos enfants n’auront pas pu bénéficier d’une prise en charge suffisante.»

Progresser et gagner en autonomie

Des difficultés supplémentaires et inutiles viennent donc s’ajouter au quotidien des familles d’enfants autistes. En effet, accompagner son enfant autiste, lui donner les outils pour progresser et gagner en autonomie, a un coût énorme. Et pas seulement sur le plan financier.

Publicité

C’est ce que connaissent Brigitte Couture et Jean-Luc Marchessault. Leur fils autiste Éric est aujourd’hui âgé de 18 ans. Ils ont dû s’organiser. «Toute notre vie, notre quotidien tourne autour de notre fils. Nous vivons à son rythme. L’un de nous deux a dû arrêter de travailler pour s’occuper de lui. Il faut que l’un de nous soit à la maison tout le temps.»

Difficile retour à l’école

Les écoles sont donc parmi les premiers impactés puisque les parents, n’ayant plus suffisamment de moyens pour financer la prise en charge de leurs enfants à temps plein dans des centres privés, reviennent en masse auprès des écoles pour re-scolariser leurs enfants.

Éric et ses parents Brigitte Couture et Jean-Luc Marchessault.

Après cette annonce, Michel Laverdière, surintendant de l’éducation du Conseil scolaire Viamonde nous expliquait: «Nous recevons beaucoup d’appels de parents. Nous travaillons actuellement pour voir comment nous pourrons les accueillir dans les meilleures conditions. Dans ce contexte, l’école est le premier partenaire des familles.»

Trell Huether, le responsable de la communication du ministère des Services à l’enfance, nous explique: «Les conseils scolaires recevront en moyenne 12 300 $ pour chaque nouvel élève admissible qui entrera à l’école durant l’année scolaire 2018-19. Ce financement permettra aux élèves d’obtenir le soutien dont ils ont besoin à l’école.»

L’école est un partenaire sûr, mais insuffisant, pour les familles qui saluent pourtant le travail des équipes pédagogiques dans le suivi et l’accompagnement de l’enfant. Néanmoins, «les professeurs ne sont pas des thérapeutes», explique Lucie Thibault. Il y aura donc forcément de gros bouleversements dans les progrès de l’enfant.

Publicité
Le retour à l’école est la seule issue possible pour certaines familles.

Inégalités d’accès à la thérapie

Bianca Nugent est la maman d’un enfant autiste. Elle est aussi doctorante à l’Université d’Ottawa. Ses recherches portent sur les facteurs d’inégalités sociales complexes présentes dans la vie quotidienne des adultes autistes francophones issus de la diversité culturelle de l’Ontario.

Elle explique à L’Express: «Il y a de très fortes inégalités dans l’accès à la thérapie. Les francophones et les habitants du milieu rural ont beaucoup plus de difficultés. Les francophones peuvent avoir besoin de déménager pour que leur enfant y accède. Les soins en anglais peuvent être contre-indiqués dans le développement d’un enfant francophone.»

75% gagnent moins de 30 000 $

Et, quid de l’âge d’adulte? En effet, une fois adulte, les troubles ne disparaissent évidemment pas. Les recherches de Bianca Nugent ont montré que 14% des adultes atteints d’autisme travaillaient à temps plein, 7% à temps partiel. Malheureusement, 75% d’entre eux ont un revenu annuel inférieur à 30 000 $ par année.

«Il faut réfléchir à un moyen de financement et à un accompagnement, même à l’âge adulte: une aide au logement, une aide à l’emploi…»

Situation gelée

Les annonces du gouvernement Ford ont donc semé le trouble et la polémique en Ontario. D’autant plus que les mesures, censées être effectives le 1er avril, n’ont toujours pas abouti, comme le montre Monique Taylor, critique de l’opposition néo-démocrate en matière d’enfance et de la jeunesse dans un courriel à L’Express:

Publicité

«Jusqu’à présent, aucune famille de l’Ontario n’a reçu son budget pour l’enfance, et aucun enfant n’a été retiré de la liste d’attente depuis l’été dernier. On a dit à beaucoup d’entre eux d’attendre le 1er avril. Cette date est passée et les enfants autistes ne reçoivent toujours pas l’aide dont ils ont besoin et qu’ils méritent.»

En somme, personne n’est satisfait et l’inquiétude n’en finit pas de monter du côté des familles. «La mise en œuvre imprudente du programme d’autisme de ce gouvernement a fait en sorte que les parents et les enfants attendent plus longtemps», selon M. Taylor. «Les familles ont l’impression d’être passées d’une liste d’attente libérale à une liste d’attente conservatrice, sans fin en vue.»

Auteur

Partagez
Tweetez
Envoyez
Publicité

Pour la meilleur expérience sur ce site, veuillez activer Javascript dans votre navigateur