Aucune société n’est immunisée contre le virus de la haine

fusillade, tuerie, massacre
La mosquée Al Noor à Christchurch, la deuxième ville de Nouvelle-Zélande. La tuerie du 15 mars a fait au moins 50 morts et 40 blessés.
Partagez
Tweetez
Envoyez

Publié 17/03/2019 par François Bergeron

La Nouvelle-Zélande, c’est comme l’Australie en plus petit, qui elle-même est comme le Canada en plus petit… Une ancienne colonie britannique avec son système parlementaire, son économie libérale, des autochtones et, depuis plusieurs décennies, des immigrants surtout asiatiques, dont des Musulmans (1% de la population en Nouvelle-Zélande, 2.6% en Australie, 3.2% au Canada).

Tout n’y est pas parfait. Comme partout, il y a des défis socio-économiques, des injustices, de la corruption. Mais la Nouvelle-Zélande, l’Australie et le Canada figurent invariablement parmi les «meilleurs pays du monde» dans les sondages qui établissent ce genre de palmarès.

La criminalité y est faible, le terrorisme rarissime.

C’est donc le choc, là-bas et chez nous, face au massacre perpétré à l’arme semi-automatique, vendredi, dans deux mosquées de Christchurch, par un militant suprémaciste blanc anti-immigration, l’Australien Brenton Tarrant, 28 ans, qui a pu être interrompu et arrêté.

Au moins 50 morts et 40 blessés: un événement sans précédent en Nouvelle-Zélande, qui rappelle qu’aucune société n’est à l’abri de ce genre de délire, et qu’aucune cause politique n’est immunisée contre le virus de la haine.

Publicité

En plus de filmer et de diffuser en direct une partie de son opération meurtrière – des images terribles, selon ceux qui les ont visionnées, qui seront impossibles à purger de l’Internet et qui pourraient inspirer d’autres déséquilibrés – Tarrant  s’est expliqué dans un manifeste de presque 17 000 mots sur le «grand remplacement», une paranoïa associée aux migrations non blanches vers l’Occident et à leur taux de natalité élevé.

On apprend qu’il préparait son attaque depuis des mois, et qu’il s’attendait à être capturé ou tué. Il cite comme déclencheurs la mort de la jeune Ebba Akerlund dans un attentat islamiste à Stockholm en avril 2017, et l’élection du «globaliste, capitaliste, égalitariste» Emmanuel Macron en France en mai 2017.

Le titre de son manifeste rappelle le cri de ralliement des néo-nazis et des KKK de Charlottesville (Virginie) en août 2017: «Les Juifs ne nous remplaceront pas». Tarrant, lui, se borne à dire qu’il n’a rien contre les Juifs tant qu’ils restent en Israël…

Parfois en format questions-réponses (il s’auto-interview!), le tueur se décrit comme un «ethno-nationaliste, éco-fasciste» voué à «l’autonomie ethnique des peuples» et la «préservation de la nature et de l’ordre naturel».

Un pictogramme résume ses idées ainsi: «autonomie ethnique, protection de l’héritage et de la culture, droits des travailleurs, anti-impérialisme, environnementalisme, marchés responsables, communautés libres de drogues, loi et ordre».

Publicité

Il rend hommage à d’autres terroristes suprémacistes, surtout au Norvégien Anders Breivik, qui a tué 77 personnes et en a blessé plus de 300 autres à Oslo en 2011.

Il mentionne Oswald Mosley, le chef du parti fasciste britannique dans les années 1930, comme une influence importante. Il s’accommode de Donald Trump comme symbole, mais il le méprise comme individu.

Bizarrement, il attribue sa radicalisation, il y a deux ans, à la blogueuse noire américaine Candace Owens. Pour ceux qui ne sont pas familiers avec les nouveaux intellectuels de YouTube, cette jeune femme éloquente  – conférencière aussi souvent invitée que désinvitée sur les campus universitaires – propose aux Noirs de répudier l’idéologie de la victimisation pour prendre leur place dans la société.

Dans certains médias, on a tout de suite accusé Trump, Owens et d’autres intervenants populaires parfois critiques de l’islam – comme le psychologue Jordan Peterson, le philosophe athée Sam Harris et même l’humoriste Bill Maher – d’avoir du sang de Christchurch sur les mains.

Rendu là, pourquoi pas les militantes québécoises pour la laïcité Djemila Benhabib, Nadia El-Mabrouk, Fatima Houda-Pépin? Ou tous ceux qui proposent de mieux gérer l’immigration? Ce sont des raccourcis débiles.

Publicité

Les Musulmans eux-mêmes sont habitués de se voir injustement blâmés collectivement chaque fois que certains des leurs attaquent un journal, une gare ou un marché de Noël. Aujourd’hui à Christchurch, comme à Québec il y a deux ans, ce sont les Musulmans qui sont victimes d’un illuminé infecté par le virus de la haine.

Nos démocraties sont toujours secouées de vifs débats – moteurs du progrès – sur tous les sujets. Désormais, c’est plus souvent sur Internet que ça se passe, où se forment facilement des «bulles» de gens qui pensent pareil. Les occasions de radicalisation des militants de toutes les causes s’en trouvent multipliées.

Mais ce sont les idées qui sont en cause, pas la technologie.

Comment crever ces «bulles», intéresser les gens à d’autres idées ou au minimum au dialogue, contrer les radicalisations meurtrières? C’est un chantier qui vient à peine de démarrer, impliquant des métiers qui n’existent pas encore.

Auteur

  • François Bergeron

    Rédacteur en chef de l-express.ca. Plus de 40 ans d'expérience en journalisme et en édition de médias papier et web, en français et en anglais. Formation en sciences-politiques. Intéressé à toute l'actualité et aux grands enjeux modernes.

Partagez
Tweetez
Envoyez
Publicité

Pour la meilleur expérience sur ce site, veuillez activer Javascript dans votre navigateur