Au cœur de la tragédie des enfants soldats

Le bruit des os qui craquent au Théâtre Passe-Muraille

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Publié 24/02/2015 par Manon Bodel

Abuser d’un enfant, l’armer, le transformer en tueur… Existe-t-il quelque chose de plus barbare au monde? L’horreur que vivent les enfants soldats au quotidien et notre indifférence face à cette tragédie, c’est ce que raconte la pièce de Suzanne Lebeau, Le bruit des os qui craquent, mise en scène par John Van Burek, dont la première en anglais s’est déroulée mercredi dernier au Théâtre Passe-Muraille.

La pièce est jouée en anglais jusqu’à ce samedi 28 février, puis prend l’affiche en français du 1er au 7 mars.

«Si le fusil tue le corps de celui qui a peur, il tue aussi l’âme de celui qui le porte.» Le personnage principal, Elikia, une jeune fille de treize ans que rien ne semble pouvoir séparer de sa Kalachnikov, fuit un camp de rebelles aux côtés d’un petit garçon, nommé Joseph, au beau milieu de la nuit.

Dès le début de la pièce, le spectateur est plongé au cœur de l’action, ne pouvant décrocher son regard des deux enfants terrifiés, assoiffés et affamés, se nourrissant d’herbe et de sable, qui essaient désespérément de rejoindre un endroit où ils pourraient enfin être libres, et ce au péril de leur vie.

L’histoire d’Elikia et de Joseph, Suzanne Lebeau l’a d’abord écrite en réaction à un documentaire sur les enfants soldats diffusé sur Télé-Québec. Bouleversée par ce qu’elle voit, elle tente de recourir aux vertus cathartiques de l’écriture pour faire partager ses émotions. «Je ne pouvais plus vivre avec ces images», admet-elle.

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N’envisageant pas de réaliser une œuvre destinée exclusivement aux adultes, Suzanne Lebeau s’interroge: comment parler de cette dure réalité aux plus jeunes? Elle choisit de présenter ce même documentaire à treize classes d’enfants âgés de 9 à 12 ans en leur demandant si les adultes ont le droit de leur parler de ce sujet. «Ils ont répondu: ‘C’est votre droit, mais c’est aussi votre devoir.’»

Déterminée à écrire, et avide de parfaire ses connaissances sur ce sujet, elle effectue de nombreuses recherches sur les enfants soldats. Et pourtant, Suzanne Lebeau s’est longtemps sentie incapable de finir la pièce qu’elle avait commencée. «Je ne pensais pas que des enfants ayant vécu une telle chose étaient capables de résilience.»

C’est son expérience à Kinshasa qui lui a prouvé le contraire. Deux anciens enfants soldats, avec lesquels elle a vécu pendant cinq semaines, lui ont en effet expliqué qu’ils étaient bel et bien capables de résilience mais qu’ils en avaient en outre extrêmement besoin.

Suzanne Lebeau est parvenue à terminer son œuvre en la construisant à l’aide d’une structure double: l’histoire d’Elikia et de Joseph est en réalité racontée par une infirmière, Angelina, qui a recueilli les deux enfants dans son hôpital, et témoigne, deux ans après les événements, devant une commission – les spectateurs – chargée d’examiner le «problème» des enfants soldats.

Sur scène, la séparation est parfaitement respectée: Angelina est située à l’écart de l’action, le son et la lumière venant accroître l’effet de distance sans toutefois empêcher les spectateurs de s’identifier aux protagonistes.

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Une histoire d’espoir

«Elle m’avait dit avant de mourir: ‘Tu sais, Angelina, Elikia veut dire espérance.’»

Malgré les terribles aventures des deux enfants, torturés et abusés, toujours cependant racontées avec pudeur, Suzanne Lebeau affirme que cette histoire véhicule un message d’espoir.

Ce message, tous les spectateurs ne le reçoivent pas de la même manière. «Les enfants et les adultes ne comprennent pas la même chose. Les spectateurs enfants s’identifient aux enfants: ils sont là où se situe l’action et coupent la chaîne de la violence. Quand Elikia et Joseph arrivent à la rivière et rencontrent l’infirmière, ce sont des adultes comme elle qui vont leur redonner confiance aux autres adultes. Or, les spectateurs adultes se sentent coupables: ils se trouvent dans la commission, et pour eux, l’histoire d’espoir devient une histoire de désespoir», explique-t-elle.

Cette histoire d’espoir, Suzanne Lebeau ne l’a pas précisément située dans un lieu géographique. La mise en scène, épurée, présente seulement ce que l’on devine être une jungle ou une forêt du côté des enfants, et un tribunal du côté de l’infirmière.

«On ne voulait pas stigmatiser l’Afrique, il y a des enfants soldats partout dans le monde», nous dit l’auteure.

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Impossible pour les spectateurs de rester indifférents face à cette triste réalité qui apparaît brutalement sous nos yeux grâce à l’incroyable justesse des actrices.

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