Appropriation culturelle: pour ou contre un droit de regard sur la création?

Ça se discute dans le milieu des théâtres francophones du Canada

appropriation culturelle
Une scène de Kanata, de Robert Lepage, au Théâtre du Soleil à Paris.
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Publié 23/03/2019 par André Magny

Le monde théâtral francophone n’est pas absent du débat entourant l’appropriation culturelle. En milieu minoritaire, la réflexion amorcée fait-elle davantage référence à un réflexe défensif ou à une attitude proactive?

Depuis que le metteur en scène québécois Robert Lepage a subi les foudres des communautés noires et autochtones pour deux de ses spectacles, SLAV et Kanata, les directeurs artistiques de toute la francophonie s’interrogent.

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Robert Lepage et Betty Bonifassi, les créateurs de SLAV, pièce centrée sur les chants d’esclaves noirs américains.

«On a organisé une discussion sur le sujet lors de nos stages en perfectionnement professionnel au Banff Centre en novembre dernier», indique Mélanie Tremblay, la responsable des communications à l’Association des théâtres francophones du Canada (ATFC).

Le rôle de l’organisme est de donner des outils de réflexion sur ce type d’enjeu, «mais il en revient aux compagnies de prendre la responsabilité de considérer le sujet ou non.»

Bon voisinage

Pour Joël Beddows, le directeur artistique du Théâtre français de Toronto, l’appropriation culturelle est avant tout une question d’éthique. «Il existe autour de nous des communautés fragilisées par des contextes historiques, par exemple.»

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Joël Beddows.

Selon l’ancien directeur du Théâtre la Catapulte, à Ottawa, ces collectivités demandent d’avoir un droit de regard sur ce qui est écrit sur eux.

Il donne un exemple concret. S’il a besoin d’utiliser un masque autochtone de la région de Toronto pour l’une de ses pièces, il va demander la permission, «parce que je ne veux pas être un mauvais voisin».

«Parfois, ça va contre le sens de la création.»

 

Par contre, pour le directeur artistique de Créations In Vivo d’Ottawa, Stéphane Guertin, «c’est un concept que je trouve un peu défensif. Parfois, c’est bien de vouloir protéger, mais parfois, ça va un peu contre le sens de la création.»

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Stéphane Guertin.

Après tout, le théâtre n’est-il pas en soi un acte d’appropriation? Celui qui fait aussi partie du groupe d’humoristes Improtéine raconte qu’il est allé au Bénin avec la pièce Charly dans le désert. La pièce met en scène deux personnages sous forme de marionnettes: un petit garçon blanc et une petite fille noire.

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«Il était important d’avoir le point de vue africain, car nous étions deux Blancs à avoir écrit le texte.»

À la suite des commentaires, quelques modifications ont été apportées au personnage d’Inna. Mais aurait-il fallu que le marionnettiste soit absolument noir pour manipuler la marionnette? Stéphane Guertin n’en est pas convaincu.

Entre minorités, on se comprend

Le fait d’œuvrer dans un milieu minoritaire semble prédisposer les créateurs de la francophonie hors Québec à une sensibilisation certaine face à l’appropriation culturelle.

«Je pense qu’on est un tantinet plus conscient», observe Joël Beddows. Il constate ainsi «une affinité de mentalité» entre les francophones et les autochtones. Il fait aussi remarquer que la francophonie de la Ville Reine est très multiculturelle, venant de plusieurs horizons.

«Qu’un Juif soit joué par un Noir ou un Chinois, ça fait partie du questionnement.»

 

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De son côté, Stéphane Guertin trouverait inapproprié que dans une série qui se déroulerait en Acadie, les producteurs ne puissent pas donner des rôles importants à des Acadiens.

«Les pièces qui explorent la différence devraient être montées davantage», assure d’emblée Joël Beddows, qu’elles traitent de racisme, d’homophobie ou de misogynie. «Qu’un Juif soit joué par un Noir ou un Chinois, ça fait partie du questionnement.»

C’est une réflexion qui sera peut-être à l’ordre du jour du forum de l’ATFC en juin prochain. «L’appropriation culturelle fait partie des sujets proposés pour le forum 2019», mais la programmatioon n’est pas encore arrêtée, dit Mélanie Tremblay.

Auteur

  • André Magny

    Journaliste à Francopresse, le média d’information numérique au service des identités multiples de la francophonie canadienne, qui gère son propre réseau de journalistes et travaille de concert avec le réseau de l'Association de la presse francophone.

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