Anne Frank au pays du soleil levant

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Publié 07/05/2008 par Ulysse Gry

À deux pas d’Hiroshima, un révérend japonais transmet l’histoire d’Anne Frank aux enfants du coin. Plus qu’une révérence, un témoignage du passé de l’humanité transmis à la nouvelle génération, en plein cœur des questionnements de l’identité japonaise. Avec Anne et le révérend, François Uzan révèle l’étonnante et troublante recherche du Japon sur sa mémoire. Présenté au Festival du film juif de Toronto le 7 mai à 13h, au Sheppard Grande, et en présence du réalisateur, voici un habile documentaire sur l’universelle ambiguïté du rapport à l’Histoire.

La société japonaise, traditionaliste et ultra-moderniste à la fois, regarde derrière elle avec attention. Elle semble cependant se focaliser plus aisément sur le passé des autres. L’histoire de la Shoah y prend alors une dimension particulière.

Anne et le révérend surprend et pose des questions qui interrogent le spectateur, d’où qu’il vienne. Passionné de scénario, le réalisateur François Uzan y dévoile une histoire dans l’Histoire, dans un pays qui entretient une relation complexe, voire peut-être complexée avec son passé. Ou comment chasser les nuages au pays du soleil levant.

François Uzan a un parcours atypique. Au départ ingénieur en aéronautique, il se découvre une passion pour l’écriture audiovisuelle et reprend des études de scénario à Paris. «Puis j’ai pris mon sac à dos et suis parti au Japon.» Il y tombe face à face avec son sujet, au détour d’une balade près d’Hiroshima.

«J’ai entendu parler un jour d’un musée sur la Shoah tenu par un révérend, dédié à Anne Frank.» Son intérêt pour la transmission des histoires l’emmène sur le seuil du musée, aux portes des entrelacements de l’Histoire. Le révérend Makoto Otsuka s’y attache à transmettre la bouleversante histoire d’Anne Frank, et à travers elle la mémoire de la déportation des juifs. Depuis qu’il a rencontré le père d’Anne Frank, le révérend s’est donné pour mission cette passation de la mémoire, qu’il effectue auprès des enfants en marge de son activité paroissiale.

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«Avec ma barbe, explique le réalisateur, mon sac à dos et ma veste militaire, Makoto Otsuka m’a pris pour un soldat israélien. J’ai vu alors ce pasteur protestant japonais s’avancer vers moi, et me parler en hébreu!» Une scène qui ne pouvait qu’engendrer un film sur la transmission des identités et le dialogue des cultures.

Anne et le révérend dévoile petit à petit une étonnante société japonaise. Ce que le film perd en longueur, ne durant que cinquante minutes, il le gagne en rythme. Le fil de pensée est clair est nous emmène sans détour au cœur du sujet: les aléas de la mémoire collective et la transmission de l’histoire juive dans la société japonaise.

«J’aime cette société depuis longtemps, commente François Uzan, mais pas pour les raisons qui motivent l’engouement actuel vers le Japon. Ce n’est pas sa culture manga qui m’intéresse, mais sa discipline, sa rigueur et en même temps sa grande poésie.»

En cinquante minutes, le film fait progressivement comprendre les enjeux de la mémoire d’Anne Frank, du travail du révérend, et pose de profondes questions. François Uzan rappelle qu’après les États-Unis, c’est au Japon que le journal d’Anne Frank s’est le mieux vendu. Pourquoi un tel engouement, si loin de l’Europe?

Il tente dans le film un parallèle entre la vie d’Anne Frank et une jeunesse japonaise contrainte, éprise d’espace et de liberté. Cependant les crimes passés du Japon sur le continent asiatique et son rôle dans la Seconde Guerre mondiale ne peuvent se dissimuler plus longtemps. La voix du réalisateur pose une simple question: et si le Japon se souvenait des crimes nazis pour mieux oublier les siens?

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Sans jamais prendre parti, le documentaire interroge sur la passation de l’histoire et donne «des pistes de réflexion». «On pourrait poser la même question à la France, répond-t-il, sur sa mémoire de victime ou de collaboratrice de l’invasion allemande.»

Toutes les mémoires sont sélectives, rappelle-t-il. «Au Japon la mémoire d’agresseur n’est pas assumée. On est passé du silence à l’affirmation, sans passer par la réflexion.» Le spectateur, à la vue du film, ne peut s’empêcher de penser aux troublants manuels scolaires japonais et aux désirs de remilitarisation du gouvernement nippon.

Au Japon comme ailleurs, les préjugés sur les Juifs ont la dent dure. À travers des images inspirées, le documentaire rend donc hommage à l’engagement de Makoto Otsuka, sans jamais tomber dans l’apologie. Il questionne sa propre méthode d’enseignement, et comme le démontrait Marc-Olivier Baruch la semaine dernière à Toronto, rend compte des modulations que l’histoire peut connaître suivant l’espace et le temps.

Anne et le révérend, de François Uzan, France, 2007, 49 min, le 7 mai à 19h au Sheppard Grande.

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