Andrée Christensen: l’écriture maîtrisée et la pensée débridée

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Publié 05/04/2011 par Paul-François Sylvestre

Après avoir publié douze recueils de poésie et neuf traductions littéraires, Andrée Christensen nous offrait un premier roman en 2007: Depuis toujours, j’entendais la mer (prix Christine-Dumitriu-van-Saanen). Elle récidive avec La mémoire de l’aile, un œuvre soutenue à la fois par une écriture maîtrisée et une pensée débridée. Ce roman est pour vous si vous êtes ouverts à un univers où «le connu se déforme en géographies des ténèbres», où «les arbres sont musiciens et les oiseaux poètes».

Le roman dépeint et dissèque trois figures réunies en un seul personnage énigmatique: Angéline, Lilith et Mélusine. Il s’agit d’une femme-corneille.

«Née de la forêt, la forêt l’habite», elle est son état d’âme. Tout au long du roman, les prénoms revêtent une grande signification.

«La vie a plus d’une fois déchiqueté mon nom. J’ai atteint l’abîme, connu la nudité absolue.

Toute chute exige une métamorphose. La transformation ourdit toujours un nom qui lui correspond, qu’on choisisse ou non de l’entendre et de l’accepter. C’est la force du nom nouveau qui façonne, enfante, aide à remonter à la surface.»

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Angéline est une enfant intuitive, rêveuse et fantasque; elle vit en symbiose avec la nature et est habitée par le désir de voler. Adolescente, elle prend le nom de Lilith et éprouve pour la première fois la puissance de ses ailes. Au moment de sa rencontre avec Bertrand Aguilar, hybrideur de roses, elle porte désormais le nom de Mélusine.

Au fil de la fascinante révélation de leurs origines, s’amorce entre Bertrand et Mélusine une relation aussi improbable qu’espérée.

Avec La mémoire de l’aile, Andrée Christensen révèle un talent que nous soupçonnions déjà: l’art de manipuler le hasard objectif, cet «ensemble de phénomènes qui manifestent l’invasion du merveilleux dans la vie quotidienne», selon André Breton.

La romancière a aussi le don de «frapper aux portes du songe et de l’imaginaire», d’entraîner notre regard à découvrir l’invisible. Comme Mélusine, Andrée Christensen «admire les êtres qui ne craignent pas les extrêmes, refusent les compromis et osent vivre la démesure». C’est ce qui s’appelle avoir le courage d’être perçus comme fous.

Dans ce roman, une corneille dévore à plein bec le placenta d’une nouveau-née, un corps est happé par une marée de suc et de sang.

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De toute évidence, l’auteure «s’abreuve à des sources obscures et voit bien au-delà de la plupart d’entre nous». Comme l’amour est un acte de foi, pour pleinement saisir La mémoire de l’aile, «il faut accepter de ne pas comprendre, honorer son mystère».

L’écriture est sublime. Il y a souvent des envolées poétiques, parfois même une envolée biblique: «En vérité, je vous le dis, Docteur, avant que le cri d’une corneille n’ait déchiré le voile de l’aube, vous m’aurez trahie.»

À la fin du roman, Andrée Christensen remercie des collègues de l’écriture et des proches, notamment Nancy Vickers qui lui a fait connaître la photographie de Joel-Peter Witkin, Woman Once a Bird, à l’origine de ce projet d’écriture.

Selon le professeur Réjean Robidoux, de l’Université d’Ottawa, La mémoire de l’aile se présente comme «un grand roman touffu, complexe, poétique, tout ensemble réaliste et mythique, écologique (on pourrait dire aussi écologiste)».

Attendez-vous à nager allégrement dans une mer agitée de mythes et de symboles, traversée par de puissantes vagues de rêve et de liberté.

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Andrée Christensen, La mémoire de l’aile, roman, Ottawa, Éditions David, coll. Voix narratives, 2010, 382 pages, 24,95 $.

Auteur

  • Paul-François Sylvestre

    Chroniqueur livres, histoire, arts, culture, voyages, actualité. Auteur d'une trentaine de romans et d’essais souvent en lien avec l’histoire de l’Ontario français. Son site jaipourmonlire.ca offre régulièrement des comptes rendus de livres de langue française.

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