Amélie Nothomb à Toronto: l’écrivaine au grand chapeau

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Publié 10/02/2009 par Khadija Chatar

Jeudi dernier, Amélie Nothomb, la fameuse écrivaine belge au grand chapeau, était de passage à Toronto, pour présenter ses deux derniers livres, Ni d’Ève ni d’Adam, traduit en anglais et Le fait du prince. À 15h, à peine sortie de l’aéroport, escortée de sa cour, elle rend visite aux élèves du Lycée français de Toronto. Après un saut dans des studios de télé, elle rejoint les 150 aficionados amassés, tant bien que mal, dans les locaux de l’Alliance française de Toronto.

Au Lycée français, vers 15h passées de quelques minutes, Marie-Christine Masson, l’une des organisatrices de la visite s’exclame tout à coup, sans quitter une seconde des yeux la porte principale: «Oh, la voilà, je la reconnais avec son chapeau!» Elle ne s’était pas trompée. Le proviseur, M. Duthel, aux aguets lui aussi, accueille l’invitée littéraire et la dirige rapidement à la bibliothèque où l’attendaient les élèves des classes de 9e, 10e, 11e et 12e de plus en plus impatients. À peine assise sur sa chaise, les questions se mettent à pleuvoir à la grande joie d’Amélie. Celle-ci commence par exprimer son sentiment d’effroi à l’idée de savoir ses romans intégrés dans le programme scolaire. «C’est un drôle d’effet.» Pour se rassurer de l’idée d’être devenue l’ennemie des générations qui succéderont dans cet établissement, elle ajoute: «Mes livres sont courts et ne vous occuperont pas trop longtemps.»

C’est alors que le déluge d’interrogations se déverse. «Non, je n’ai rien inventé dans Stupeur et tremblements. J’ai même atténué certains passages», répond-t-elle à la grande question qui habite tous les lecteurs de cette rocambolesque autobiographie. Dans ce livre, l’auteure raconte sa pénible expérience au sein d’une entreprise japonaise où elle fit une descente fulgurante, passant du poste de traductrice à celui de «Madame pipi».

Une descente aux enfers et une humiliation qui donneront, par la suite, le courage à cette personne pudique de montrer ses manuscrits. «Je me suis dit: Cela fait six ans que tu écris dans ton coin et si tu essayais d’être écrivain?» Cela valait bien la peine de tenter le coup puisque aujourd’hui ses romans sont traduits dans 41 langues.

À la question depuis quand elle écrit, elle raconte: «J’ai commencé l’écriture à l’âge de 17 ans sans savoir le moins du monde que c’était pour être écrivain. J’étais mal dans ma peau et c’était comme du mal qui sortait de moi. Je me sens habitée par quelque chose et le besoin de l’exprimer est une nécessité absolue.»

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Aux nombreuses autres questions qui lui furent posées, une en particulier retint l’attention, déjà à son paroxysme, et entraîna le public plus profondément dans le monde de l’écrivaine: Est-ce que le succès l’aurait influencée dans son écriture? «Non, je n’ai pas cette impression. Quand j’écris, j’appelle ça aller dans mon sous-marin de l’écriture. J’y suis inaccessible!»

L’impact des contes japonais, quelle idée!

À 18h30, la galerie Pierre Léon de l’Alliance française de Toronto était pleine de monde. Les chaises se côtoyaient dangereusement et aucun coin ne fut épargné d’un siège. À l’étage, même chose, un public attendait l’écrivaine devant un écran sur lequel était projeté la salle d’en bas. Certains le faisaient avec appréhension. On entendait: «Est-elle sympa?» C’est vrai qu’elle décrit avec délice presque admiration et même gourmandise la cruauté de pas mal de ses personnages.

La voilà qui arrive, dominant l’assistance avec un autre chapeau encore plus extravagant et plus que jamais «elle». Pascal Michelucci, professeur de lettres modernes et langagière aux Départements d’Études françaises à l’Université de Toronto et au campus de Mississauga, se prête au rôle d’animateur de ce «jeudi littéraire» qui n’en est plus un dans l’esprit de plusieurs, du moins ce soir là.

Après une belle introduction de M. Duthion, le directeur des lieux, la conférence commence. Plus structurée sans pour autant différer grandement en contenu de celle de l’après-midi, l’échange avec le public commence. Dans la salle sont présents au premier rang les consuls de France et de Belgique et d’autres personnalités littéraires comme Pierre Léon.

Les contes de fée auraient eu un impact sur son écriture relève le Pr. Michelucci. Une influence qu’elle acquiesce en précisant, cependant, qu’elle ne se limite pas à l’Occident mais s’étend au Japon. Amélie est née au Japon où elle vécu jusqu’à l’âge de 5 ans avant de s’installer en Chine. Plusieurs de ses livres s’inspirent de ce pays le Japon auquel elle ambitionnait, jusqu’à ses 21 ans, d’appartenir coûte que coûte. Elle se remémore ainsi les histoires que lui contait sa nourrice japonaise. Des histoires «d’une cruauté extrêmement savoureuse» dans lesquelles, figure une sorcière des montagnes prénommée Yamamba qui fait de la soupe aux promeneurs! Amélie s’interrogeait déjà et certainement encore du goût qu’elle aurait donné à cette soupe aux randonneurs.

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Lorsqu’on lui parle de ses personnages, Amélie dit: «Je les place dans une position de résistance aux agressions.» Un culte de l’héroïsme qu’elle a développé depuis ses 17 ans et qu’elle teste aussi sur son lecteur. «Je veux voir jusqu’à quoi il va résister.»

De façon différente, ce test d’héroïsme, elle se l’est infligé aussi. «La littérature m’a sauvée la vie. De mes 11 à 17 ans, je vivais au Sud-Est asiatique et avec ma sœur, on ne vivait que dans les livres. La littérature m’a empêchée d’être dans le vide.»

Mais de cette berceuse littéraire, Amélie a su trouver la porte de sortie. Elle parle ainsi dans ses livres toujours et encore de réalité. Son trait le plus frappant résonne surtout dans son aisance à transformer une histoire- avec un choix de mots bien pensés et dynamiques- des plus anodines en la plus incroyable et rebondissante qui soit. Un dynamisme dans ses romans qui a quelque chose à voir avec la présence prépondérante du dialogue. «Jusqu’au 18e siècle, ce n’est pas trois genres littéraires qui existaient mais quatre», enseigne-t-elle à l’assistance. Le dialogue était un genre à part entière. Dans ses romans, il s’y niche spontanément. «Il correspond le plus à mon flux mental. L’écriture est un prolongement de ma pensée. Le roman n’a pas de narrateur, à eux de s’entendre», explique-t-elle.

«Habiter son corps n’est facile pour personne…

Comme l’avait relevé un des auditeurs de la salle, les personnages d’Amélie ont une relation difficile avec leur corps. «Mon écriture est une écriture du corps, un acte physique qui sort et qui parle du corps», confirme-t-elle avant de conclure: «Habiter son corps n’est facile pour personne…»

Durant cette rencontre, Le fait du prince, son dernier roman, fut à peine mentionné, tellement les questions fusaient de toutes parts et la curiosité pour cette femme était grande. Dans ce livre, l’auteure parle d’usurpation d’identité et d’allégresse procurée par le liquide enivrant aux bulles qu’est le champagne. «La présence du champagne était narrativement indispensable. Les personnages sont grisés, allègres.» Un état d’indolence à souhait qui explique les risques énormes pris par ses personnages. «La lecture de ce roman devrait se faire en buvant du champagne», conseille-t-elle certainement avec beaucoup de sérieux.

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Entre deux dédicaces, elle se confie à L’Express: «Je n’aurais jamais cru rencontrer à Toronto un public aussi nombreux, de telle qualité intellectuelle, aussi dynamique et enthousiaste! Des élèves du Lycée français rencontrés plus tôt – son regard s’illumine – elle dit: «C’était vraiment génial! J’ai rarement passé un moment aussi sympa.»

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