L’Afrique: une alternative viable aux États-Unis pour le Canada?

Le port de Durban en Afrique du Sud
Le port de Durban en Afrique du Sud, le plus dynamique du continent. Photo: iStock.com/michaeljung
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Publié 15/03/2025 par Saad Bouzrou

L’Afrique présente plusieurs opportunités d’échanges économiques pour le Canada ainsi que pour sa francophonie. Si la guerre commerciale avec les États-Unis rappelle le besoin de diversifier l’économie canadienne, le pays a pris du retard sur le continent africain par rapport aux autres puissances mondiales.

D’après le professeur en relations internationales à l’Université de Moncton, Roromme Chantal, nous assistons aujourd’hui à une reconfiguration des rapports de force à l’échelle mondiale.

Roromme Chantal
Roromme Chantal. Photo: courtoisie

«Nous sommes dans un contexte de guerre conventionnelle et non conventionnelle», explique-t-il, évoquant d’un côté la guerre en Ukraine et, de l’autre, la guerre économique entre les États-Unis et la Chine. Cette rivalité sino-américaine met une pression considérable sur les pays tiers, les poussant à revoir leurs alliances économiques.

Dans ce contexte, le Canada, qui exporte plus de 75% de ses produits vers les États-Unis, tente de diversifier ses relations. Si un rapprochement avec la Chine avait été envisagé sous Justin Trudeau, cette option a été écartée en raison de tensions diplomatiques et de différends sur les droits de la personne.

L’Asie étant elle-même un terrain géopolitique complexe, l’Afrique devient alors comme un partenaire à privilégier.

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L’Afrique, un marché en pleine croissance

Selon Pierre-Marcel Desjardins, professeur d’économie à l’Université de Moncton, l’Afrique représente une «opportunité stratégique majeure» pour le Canada. «C’est une région où il y a une croissance démographique importante, une classe moyenne émergente et où les tendances de consommation évoluent rapidement.»

Pierre-Marcel Desjardins
Pierre-Marcel Desjardins. Photo: courtoisie

Affaires mondiales Canada a justement dévoilé le 6 mars sa «première stratégie mondiale pour l’Afrique», un plan de développement des relations diplomatiques et d’investissement en préparation depuis deux ans.

Pierre-Marcel Desjardins explique que l’intérêt du Canada pour le continent africain repose sur plusieurs facteurs. Le continent offre un marché jeune et dynamique, avec une population qui devrait représenter un quart de la population mondiale d’ici 2050.

Ce dynamisme économique s’accompagne d’un besoin croissant en infrastructures, un domaine dans lequel le Canada possède une expertise reconnue, notamment en gestion des ressources naturelles, en technologies propres et en agriculture durable, détaille l’économiste.

Enfin, la francophonie constitue un atout de taille, facilitant les échanges avec plusieurs pays africains francophones.

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Toutefois, ce marché présente aussi des défis. Roromme Chantal souligne que l’Afrique reste un continent économiquement fragmenté, avec des réglementations variées et des infrastructures inégales. Par ailleurs, la concurrence y est féroce. Des puissances comme la Chine, la Turquie et même les États-Unis ont déjà investi massivement sur le continent.

Retard à rattraper

Alors que d’autres nations ont multiplié leurs investissements et visites diplomatiques en Afrique, le Canada reste en retrait. Selon Roromme Chantal, la Chine, par exemple, a déjà effectué plus de 70 visites de haut niveau en Afrique ces dernières années, alors que le Canada n’a pas encore une présence diplomatique forte.

Affaires mondiales Canada a d’ailleurs reconnu cette faiblesse dans son communiqué du 6 mars. La Stratégie comprend de missions diplomatiques et l’établissement d’«une ambassade à part entière au Bénin».

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Le continent africain. Photo: NASA. Illustration: Martin23230, CC BY-SA 3.0, Wikimedia Commons.

Le Canada est à la recherche de nouvelles opportunités d’intégration dans des marchés émergents, notamment en Afrique, observe Roromme Chantal. L’émergence de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAF) ouvre ainsi des perspectives d’investissement dans un marché en pleine expansion, une dynamique qu’il juge essentielle pour l’avenir des échanges canado-africains.

Il ajoute que le gouvernement entend aussi mobiliser la diaspora africaine installée au Canada afin de renforcer les liens économiques et culturels.

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En parallèle, le renforcement des échanges commerciaux et des investissements directs figure parmi les priorités affichées. Une initiative comme celle du Conseil économique du Nouveau-Brunswick (CENB), qui tisse des liens avec des pays comme le Togo depuis 2023, illustre bien le potentiel de collaborations à l’échelle provinciale.

Des opportunités sectorielles à exploiter

Plusieurs secteurs pourraient bénéficier de ce rapprochement entre le Canada et l’Afrique. Les services, l’éducation et la formation professionnelle sont identifiés comme des secteurs clés où le Canada pourrait jouer un rôle majeur, indique Pierre-Marcel Desjardins.

Afrique Nairobi Kenya
Des édifices de Nairobi, capitale du Kenya. Photo: iStock.com/insta_kenya

L’Afrique, riche en ressources naturelles, représente un levier stratégique pour le développement des échanges économiques entre le Canada et le continent. Cette abondance ouvre des perspectives de coopération, notamment dans le domaine de l’exploitation responsable des matières premières, un enjeu sur lequel Pierre-Marcel Desjardins attire particulièrement l’attention.

L’essor du secteur agroalimentaire constitue également un levier de croissance essentiel pour le Canada en Afrique, met de l’avant le professeur, avec des perspectives d’échanges commerciaux renforcés.

Les exportations canadiennes, comme les fruits de mer, trouveraient un marché en expansion, tandis que l’Afrique, riche en ressources agricoles, pourrait voir sa production de café mieux valorisée au Canada, un marché encore largement tourné vers l’Amérique latine, analyse-t-il.

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«Il ne faut pas seulement penser à exporter, mais à construire un partenariat économique mutuellement bénéfique», rappelle l’universitaire. L’idée est de ne pas répéter les erreurs du passé, où certains partenariats ont été déséquilibrés, plus profitables pour les pays du Nord que pour les pays africains.

L'entrée du port de Durban en Afrique du Sud
L’entrée du port de Durban en Afrique du Sud. Photo: iStock.com/TenEighty

Une diversification économique nécessaire

La dépendance du Canada envers les États-Unis est maintenant perçue comme un risque, constate Pierre-Marcel Desjardins.

Avec la montée du protectionnisme américain et les tensions commerciales récurrentes, le Canada doit se diversifier. L’Afrique, avec son marché en pleine expansion et ses ressources, représente une alternative crédible et stratégique.

Pourtant, le chemin reste long. Roromme Chantal et Pierre-Marcel Desjardins soulignent tous deux que le Canada devra structurer son approche, renforcer sa diplomatie économique et investir dans des projets de long terme. L’heure n’est plus aux simples déclarations d’intention: il est temps de passer à l’action.

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