À propos du saut-de-mouton

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Publié 07/12/2010 par Martin Francoeur

Je serais tellement curieux de savoir si vous êtes nombreux à savoir ce qu’est un «saut-de-mouton». Non, il ne s’agit pas d’un jeu enfantin qui consiste à sauter par-dessus un autre joueur, qui se tient courbé. Je suis à peu près convaincu que j’en surprends plusieurs si je vous dis qu’un «saut-de-mouton» est un ouvrage de voirie. Rien de moins !

Récemment, j’ai été confronté à un véritable dilemme journalistique. Allais-je employer un mot qu’à peu près personne ne connaît, ou allais-je m’en remettre à un autre terme utilisé plus répandu dans l’usage?

Le «saut-de-mouton», c’est ce qu’on appelle couramment – et à tort – un viaduc. Les anglophones disent «overpass».

Le Petit Robert définit le «saut-de-mouton» comme étant le passage d’une voie ferrée ou d’une route au-dessus d’une autre, pour éviter les croisements. Sur n’importe quelle bonne autoroute, les sauts-de-mouton sont nombreux et, entre vous et moi, heureusement qu’ils existent. Imaginez un peu le chaos s’il devait y avoir des intersections sur des voies rapides. Dans le Canada francophone, on emploie généralement le terme «viaduc» pour désigner ce genre d’ouvrage. Il y a quelques années, on a beaucoup parlé, au Québec, de l’effondrement du «viaduc de la Concorde» mais il ne s’agissait pourtant pas d’un viaduc.

On définit en fait le «viaduc» comme étant un ouvrage routier ou ferroviaire construit à une grande hauteur afin d’enjamber une vallée, une dépression, etc., et comportant de nombreuses travées. On donne souvent en exemple, au Québec, le viaduc ferroviaire de Cap-Rouge, dans la région de Québec. En France, on connaît bien le viaduc de Millau, un spectaculaire ouvrage qui franchit la vallée du Tarn, dans le département de l’Aveyron.

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Mais alors, si «viaduc» ne convient pas pour les voies routières enjambant une autre route, que devrait-on employer ? Le terme «saut-de-mouton» est certes approprié. Mais son usage est surtout répandu en France. Chez nous, on entend rarement cette expression pour désigner ce type d’ouvrage.

L’Office québécois de la langue française recommande «passage supérieur», que l’on définit comme étant un «ouvrage, y compris ses accès, qui permet à une route, en relevant son profil, de passer au-dessus d’une autre route ou d’un obstacle». Mais le terme «passage supérieur» présente l’inconvénient de ne pas être très précis. Il pourrait désigner une passerelle pour piétons au-dessus d’une rue, ou encore un chemin plus élevé qu’un autre en montagne, par exemple.

Au ministère des Transports du Québec, on a choisi d’employer le terme «pont d’étagement», qui colle mieux à la réalité et qui a le mérite de se répandre progressivement dans l’usage. On comprend plus aisément les concepts auxquels fait référence le «pont d’étagement», l’ouvrage étant somme toute un pont – qui désigne généralement ce qui permet de franchir un obstacle ou de faire communiquer – caractérisé par un étagement – que l’on définit comme étant la disposition de ce qui est étagé.

Il semble toutefois difficile d’enrayer de l’usage le mot «viaduc», qui a l’avantage d’être plus court et qui est assurément plus répandu. L’emploi de «viaduc» n’est même pas un anglicisme, puisque le terme anglais «viaduct» désigne précisément un ouvrage construit à grande hauteur, soutenu par des arches ou des piliers, permettant de franchir un escarpement naturel.

La même chose, en somme, que ce que définit le mot français «viaduc». Si on s’entend pour utiliser le terme «pont d’étagement», une autre difficulté se présente lorsque vient le temps de le décrire plus précisément.

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Si on rapporte un accident sur l’autoroute, on sera tenté de vouloir situer davantage l’interlocuteur en mentionnant que l’accident est survenu sur telle autoroute, près du pont d’étagement du boulevard des Érables, par exemple. On attribue donc au pont d’étagement le nom de la voie supérieure, histoire de ne pas confondre avec tous les autres ponts d’étagement de l’autoroute en question. Mais si l’accident survenait sur le boulevard des Érables, on dirait simplement qu’il s’est produit près du pont d’étagement qui enjambe l’autoroute en question. Une simple question de logique.

Et un petit conseil en terminant: oubliez le «saut-de-mouton». Vous risqueriez de confondre votre interlocuteur ou vos lecteurs…

Auteur

  • Martin Francoeur

    Chroniqueur à l-express.ca sur la langue française. Éditorialiste au quotidien Le Nouvelliste de Trois-Rivières. Amateur de théâtre.

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