À propos du divulgâcheur

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Publié 14/04/2015 par Martin Francoeur

Les terminologues sont parfois de brillants créateurs. J’ai beaucoup de respect pour le travail de ces femmes et de ces hommes qui ont pour tâche d’enrichir le français de nouveaux mots. Leur travail repose sur la nécessité de trouver les mots appropriés pour décrire de nouvelles réalités, de nouvelles tendances, en proposant un équivalent français à des mots étrangers souvent bien ancrés – ou alors en progression constante – dans l’usage.

Les plus récentes trouvailles des terminologues sont majoritairement concentrées dans le domaine de la communication, de la technologie, des réseaux sociaux, de l’informatique. Indirectement, des nouveaux mots décrivent aussi les tendances, les comportements liés aux innovations dans ces domaines.

Un de ces nouveaux mots fait une entrée timide mais remarquée dans le vocabulaire des réseaux sociaux. Et il est un bel exemple de néologisme de forme, construit par agglutination de mots existants. Le mot en question? Divulgâcheur.

Spoiler

Mais qu’est-ce que ce «divulgâcheur»? À quoi réfère-t-il?

Il est d’abord plus simple de dire quel terme anglais le mot «divulgâcheur» vise à remplacer. On parle ici d’un «spoiler». Il s’agit en fait d’une information divulguant une partie importante de l’intrigue d’une œuvre de fiction, qui gâche l’effet de surprise ou le plaisir de la découverte.

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C’est l’Office québécois de la langue française qui propose «divulgâcheur» dans son Grand dictionnaire terminologique. Le mot, qui est un bel exemple de mot-valise, est formé à partir des termes «divulgateur» et «gâcheur». Le concept lui-même colle bien à ces deux mots
.
La fiche terminologique de «divulgâcheur» mentionne que l’œuvre de fiction dont il est question dans la définition peut être, par exemple, un film, une télésérie, un roman ou un jeu vidéo.

Dans le cas d’un jeu vidéo, la révélation d’éléments importants sur le déroulement du jeu (par exemple des rebondissements, les solutions aux énigmes, le dénouement de l’histoire) est considérée comme un divulgâcheur.

Trop d’information

Contrairement à ce que suggère l’apparence du mot – ou sa morphologie – le terme «divulgâcheur» ne désigne pas la personne qui révèle une information ayant pour effet d’atténuer le plaisir, mais bien l’information elle-même. Le divulgâcheur peut donc être un commentaire ou un article, par exemple.

L’OQLF mentionne que «sur Internet, les divulgâcheurs sont généralement signalés au lecteur, qui peut choisir de les lire ou non. Le divulgâcheur est notamment une fonction présente sur les forums, qui permet de cacher une partie du message afin que les autres ne la voient que s’ils le désirent.»

Le mot n’est pas encore entré dans les dictionnaires d’usage. Mais la proposition de l’Office québécois de la langue française est une belle création, qui pourrait atteindre la reconnaissance par les dictionnaires usuels, à condition que l’usage s’approprie cette francisation d’un terme existant, en anglais.

Succès de «courriel»

Il y a des précédents. L’exemple le plus célèbre de néologisme d’équivalence, construit lui aussi par agglutination, demeure sans doute «courriel», qui s’est taillé une place enviable dans l’usage, éclipsant même les tentatives franchouillardes de traduction de e-mail.

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Le mot webmestre est aussi un bel exemple de création lexicale adaptée aux réalités contemporaines, particulièrement dans le domaine des communications et de l’informatique. Lui aussi s’est taillé une place de choix dans l’usage.

On pourrait dire que «divulgâcheur» est aussi une création fantaisiste, unissant deux mots qui n’ont pas de lien commun. L’amalgamation de ces mots fournit presque instantanément une définition du concept représenté.
 
Là encore, d’autres exemples existent. On pense notamment aux pétrodollars ou à un didacticiel.

Mots-valises

Plus récemment, mais toujours dans la même veine des mots-valises fantaisistes, on a vu apparaître le concept de photocopillage, composé à partir de «photocopier» et «pillage». Le terme désigne la reproduction illicite par photocopie de documents protégés par la propriété intellectuelle.

Il faut donc une bonne dose d’imagination et de respect des règles établies pour enrichir la langue française de nouveaux mots.

Et même si, en bout de ligne, l’usage ne leur donne pas l’espace auquel ceux-ci aspirent, il n’en reste pas moins que ces termes existent et qu’ils constituent d’efficaces solutions alternatives à des mots anglais parfois envahissants.

Auteur

  • Martin Francoeur

    Chroniqueur à l-express.ca sur la langue française. Éditorialiste au quotidien Le Nouvelliste de Trois-Rivières. Amateur de théâtre.

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