Un Dimanche à Kigali: une fleur au milieu de la mort

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Publié 19/09/2006 par Magdaline Boutros

Le projet était audacieux. En plus d’être le premier long-métrage québécois à être entièrement tourné à l’étranger, Un Dimanche à Kigali aborde de front deux thèmes délicats: le génocide rwandais et les relations entre hommes occidentaux d’âge mûr et jeunes Africaines.

Un projet terrifiant pour le cinéaste Robert Favreau: «Ma première réaction après avoir lu le scénario, c’était d’être en criss, raconte le réalisateur en entrevue à Toronto. J’étais tellement en colère contre moi-même, en me disant ‘’Où est-ce que j’étais quand ça s’est produit? À quoi je pensais? Où est-ce qu’on était pour qu’une telle chose arrive?’’ C’est plutôt là que j’ai trouvé ma motivation, parce que le projet en tant que tel me terrifiait.»

Au printemps 1994, Bernard Valcourt (Luc Picard), un journaliste québécois, se rend à Kigali au Rwanda, pour réaliser un reportage sur le sida. Rapidement, son attention se détourne vers la montée des tensions raciales entre Hutus et Tutsis. Caméra à la main, il témoigne jour après jour de la préparation du génocide. Pourtant, tant les médias canadiens que le personnel consulaire sont réfractaires à condamner les actions des Hutus.

Dans ce pays au bord du précipice, Bernard fait la connaissance de Gentille (Fatou N’Diaye). À l’hôtel des Mille Collines, le journaliste désabusé et la jeune serveuse rwandaise se courtisent. Les préjugés sont toutefois durs à surmonter. Elle n’a qu’une vingtaine d’années, lui, la quarantaine passée. Pour Bernard, son corps renferme tout l’exotisme africain, alors que pour elle, il évoque la possibilité d’obtenir un passeport canadien. L’attirance semble toutefois plus forte que tout. Mais l’appel au génocide est donné. Sous les regards impuissants des casques bleus, 800 000 Rwandais trouveront la mort. La destinée de Bernard et Gentille prendra dès lors un tournant tragique.

Le long-métrage est une adaptation cinématographique du best-seller Un Dimanche à la piscine de Kigali écrit par Gil Courtemanche et encensé par la critique. «J’ai fait ce film-là en espérant que notre indifférence se mue en indignation», affirme sans détour Robert Favreau, qui signe le scénario en plus de la réalisation.

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Un Dimanche à Kigali fait inévitablement penser à Hôtel Rwanda, film américain réalisé en 2004 qui se penchait également sur le génocide rwandais. Mais là où Hotel Rwanda nous faisait découvrir l’héroïsme d’un gérant de l’hôtel qui a aidé des centaines de Tutsis à fuir, Un Dimanche à Kigali nous emmène au coeur du drame humain, nous enveloppant dans une histoire d’amour contrastant on ne peut plus abruptement avec les horreurs du génocide.

Autre différence majeure: Hotel Rwanda a été tourné en Afrique du Sud, alors que l’équipe d’Un Dimanche à Kigali a installé son plateau de tournage sur les lieux même du massacre. Dans un pays où l’industrie cinématographique est quasi-inexistante, le défi était de taille. Tout le matériel ou presque a dû être envoyé du Canada… même les clous et les 2×4!

Pour le réalisateur, le Rwanda demeurait le seul lieu où le film pouvait être tourné pour lui permettre de prendre toute sa valeur. «Pour moi, c’était essentiel d’aller tourner là. Quand je tourne un film sur le Québec, je sais comment est la vie au Québec. Mais comment est la vie au Rwanda? Je n’en savais absolument rien.»

Un projet qui, semble-t-il, a été compris par les Rwandais. Plus qu’un retour douloureux sur un épisode sordide de leur histoire, les Rwandais auraient vu dans le tournage d’Un Dimanche à Kigali la possibilité de rappeler une fois de plus à la communauté internationale ce qui s’est passé chez eux en 1994. «Pour eux, chaque film qui va être fait sur le génocide est un espoir de plus qu’une telle chose ne pourra plus se reproduire», croit Robert Favreau.

La relation amoureuse entre Bernard et Gentille aurait également bien été reçue. «On m’a dit à plusieurs reprises que l’histoire d’amour entre Valcourt et Gentille permet d’avoir accès à l’intimité de ce qui s’est passé pour les Rwandais», explique le cinéaste québécois, qui admet avoir craint une réaction inverse des Rwandais face à ce type de relation généralement dénoncée par les Africains.

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Le tournage a inévitablement replongé des milliers de Rwandais dans les horreurs du génocide. 2500 figurants ont été appelés à recréer des scènes de massacre et une vingtaine d’acteurs rwandais ont participé au tournage. Un dur retour en arrière sur une plaie qui tarde encore à se cicatriser et qui a nécessité la présence d’un médecin, un infirmier et trois psychologues rwandais lors du tournage des scènes les plus éprouvantes.

Les acteurs québécois ont aussi dû affronter le souvenir du génocide. «Juste d’être au Rwanda, en étant là physiquement, ça a été difficile, explique en entrevue Luc Picard, qui campe le rôle de Bernard Valcourt. Dans les yeux des gens, partout, tu le sens, tu entends encore les échos du génocide. Toutes les personnes que tu rencontres ont participé d’une manière ou d’une autre, elles ont été victimes ou elles ont victimisé. Juste ça, c’est une grosse charge émotive. Ensuite, d’être obligé de te plonger là-dedans, de te faire le témoin, d’essayer de t’imaginer chaque jour que tu vois ces horreurs-là, c’est aller puiser dans des coins de l’âme où l’on ne veut pas tous aller.»

C’est justement cette compassion et cette force de caractère qui ont séduit Robert Favreau. «Luc a le type d’intensité, de force intérieure et de conscience tourmentée par rapport aux enjeux humains que nécessitait le personnage de Bernard. Je savais aussi qu’il aurait des scènes extrêmement difficiles à jouer, et j’étais confiant qu’il y arriverait.»

Au milieu de la guerre et de la mort, Luc Picard interprète l’amour. «La mort, tu l’installes un peu dans ta tête, dans ton coeur, et une fois qu’elle est installée, tu n’as plus vraiment besoin de la jouer. Quand on arrivait aux scènes où il y avait de la tendresse, c’était un break pour le personnage, mais aussi pour l’acteur. Ça mettait un peu d’humanité», explique l’acteur.

Un Dimanche à Kigali est un long-métrage troublant, un rappel nécessaire des horreurs commises aux vues et au su de toute la communauté internationale. «Vous pensiez que nous n’étions que des animaux, voilà la preuve que nous sommes vraiment des hommes», dira un Rwandais, dans une réplique des plus acerbes du film.

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Le long-métrage québécois lève le voile sur l’extrême violence commise à l’égard des femmes durant le génocide. «Le premier film sur le Rwanda qui en parle», rappelle Robert Favreau. Des scènes difficiles à regarder, mais qui témoignent du sort de 250 000 Rwandaises livrées aux griffes de leur concitoyens.

Après avoir été accueilli favorablement par le public torontois lors du Festival du film de Toronto, et avoir récolté plus d’un million $ de recettes au box-office québécois, Un Dimanche à Kigali prendra l’affiche dans les salles torontoises le 22 septembre.

«Est-ce que l’universalité du sujet va faire qu’il va y avoir une ouverture plus grande du public canadien-anglais à cette production québécoise? On peut juste l’espérer», conclut Robert Favreau.

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