L’indocile par excellence

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Publié 28/02/2012 par Paul-François Sylvestre

La collection Indociles des Éditions David s’est récemment enrichie d’un nouveau titre: Entre l’étreinte de la rue et la fièvre des cafés, de Pierre Raphaël Pelletier. Il est difficile de trouver un ouvrage plus indocile que ce récit ou cri du cœur. Indigné bien avant que le mot fasse l’actualité, Pelletier nous offre ici ses réflexions sur l’art et la marginalité à travers une expérience personnelle douloureuse, mais heureusement enrichie par l’amitié et la quête de la beauté.

J’ai connu Pierre Pelletier à la Faculté de philosophie où il fallait «composer avec l’autoritarisme et le dogmatisme thomiste des clercs et de leurs fidèles laïcs, ces enseignants doctrinaires».

C’était dans les années 1960, à l’Université Saint-Paul, et les clercs étaient les pères oblats Léonard Ducharme, Marcel Patry, Benoît Garceau, etc.

Pierre Pelletier – il n’avait pas encore ajouté Raphaël – était déjà un artiste en puissance, un rebelle.

Il se préparait à écrire et à peindre, deux actes qui constituent «une lente gestation de l’écartèlement du moi». Il commençait déjà à découvrir que chaque coup de crayon et chaque coup de pinceau passent «au tamis du doute». Entre l’étreinte de la rue et la fièvre des cafés met en scène Monsieur R. qui mène une vie où rien ne se passe sans alcool.

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Il lui faut sa «razzia furieuse de la dive bouteille» pour fonctionner.

Il est artiste visuel et écrivain, mais «écrire et peindre… sans alcool rien ne va». On devine que le R de Monsieur R. est Raphaël et que ce récit est à 200% autofictionnel.

L’auteur décrit le marché By d’Ottawa sous toutes ses coutures, avec ses «bizarreries amusantes, ses balèzes, ses égarés planétaires, ses doux fêlés, ses drogués dépravés, ses sans-abri de tout âge… tous ces humains déguenillés que l’on préfère ignorer ou ne pas voir».

Ceux qui côtoient régulièrement Pierre reconnaîtront, au fil des pages, son ami Jules Villemaire, ses fils Gabriel et François, sa fille Isabelle, etc.

Certains revivront peut-être les efforts menés par Pierre pour vivre sans alcool… afin que l’ange en lui soit moins bête». Mais cela importe peu. «Cré tac de bœuf!»

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C’est entre l’étreinte de la rue du marché By et la fièvre de ses cafés que Pierre «écrit, lit, peint, marche, vadrouille, parle avec ses enfants, ses amis, les corneilles et les petites bêtes autour de lui», dans l’espoir qu’un jour «toute cette beauté l’emportera sur le pouvoir de la bêtise, en commençant par la sienne». «Ratatouille de rat maudit!»

Plusieurs collègues écrivains doivent se retirer dans un coin silencieux, tôt le matin ou tard le soir, pour pitonner sur leur clavier. Pierre Raphaël, lui, écrit dans les cafés.

Ses histoires «prospèrent au gré des conversations jouissives, vagabondes, vacillantes, passagères, engageantes, laissées pour compte autour d’une table que l’on quitte à la hâte, de peur de s’y laisser prendre».

Toutes les fictions que Pierre Raphaël Pelletier a publiées – une demi-douzaine – «se perdent entre le narrateur et lui». Comme moi, il n’ignore pas que c’est souvent dans la fiction que l’écrivain se met le plus à nu. Il sait que «les fictions sont les ruses d’une réalité qui se raconte».

Entre l’étreinte de la rue et la fièvre des cafés est le carnet des pérégrinations d’un créateur solitaire et indigné qui a choisi de s’affranchir de l’emprise de l’alcool. Pierre, Pierre Raphaël ou Monsieur R. est animé par ce besoin viscéral d’engendrer autour de lui un peu de beauté. Et c’est par la création, littéraire et visuelle, qu’il parvient à conserver une part d’humanité et à redonner couleurs à sa vie.

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Pierre Raphaël Pelletier, Entre l’étreinte de la rue et la fièvre des cafés, récit, Ottawa, Éditions David, coll. Indociles, 2012, 148 pages,
21,95 $.

Auteur

  • Paul-François Sylvestre

    Chroniqueur livres, histoire, arts, culture, voyages, actualité. Auteur d'une trentaine de romans et d’essais souvent en lien avec l’histoire de l’Ontario français. Son site jaipourmonlire.ca offre régulièrement des comptes rendus de livres de langue française.

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