Des réflexions au ton irrésistible

À 92 ans, Claire Martin est probablement la doyenne des écrivains canadiens-français. Née à Québec en 1914, elle a vécu à Ottawa de 1945 à 1972. C’est au cours de cette période qu’elle a écrit des romans tels que Avec ou sans amour (1958), Doux-amer (1960), Dans un gant de fer (1966) et Les morts (1970). Au cours des six dernières années, Claire Martin a publié quatre romans. Cette année elle nous offre, sous le titre À tout propos, un florilège de réflexions sur l’écriture, la littérature et les aléas de la vie.

Les réflexions de Claire Martin sont finement ciselées, surtout celles qui se résument à une ou deux phrases. À titre d’exemple, l’auteure écrit: «d’où vient le mot qui surgit sous la plume, le mot irremplaçable, comme une divine surprise? Du meilleur de vous-même. Faites-lui une place.»

Claire Martin étaie parfois son florilège de brèves citations empruntées aux auteurs qu’elle a lu avec affection: Voltaire, Montaigne, La Fontaine, Gide, Gracq, Cocteau, Wilde, d’Ormesson et Tahar ben Jelloun. Selon ce dernier, «la vulgarité, c’est le mépris du lecteur».

À tout propos renferme plus de 150 réflexions succinctes qui tiennent souvent dans un paragraphe de 20 lignes ou moins, parfois dans une page, rarement dans plus d’une page et demie.

Les sujets abordés traitent tour à tour du bonheur, de la souffrance, de la courtoisie, de la conversation, voire de l’immoralité d’enseigner la gymnastique aux jeunes filles.

Plusieurs réflexions portent sur l’écriture et ce sont celles-là que je voudrais surtout mettre en valeur. À titre d’exemple, lorsque Claire Martin écrit un roman, elle a parfois «tendance à faire cadeau aux personnages que je préfère d’un amour qui dure plus loin que la dernière page».

À la lecture de certaines réflexions, on a l’impression que l’auteure donne sa réplique à un critique littéraire qui l’aurait un peu torpillée. Elle se demande pourquoi on lui a dit qu’un de ses romans demeurait peu crédible, peu plausible. «Pauvre être sans imagination, vous ne voulez trouver dans mon roman que des choses qui se passent quotidiennement dans votre cuisine? Si l’imagination n’entre pas dans la composition d’un roman, ce n’en est plus un…»

Claire Martin a des opinions bien arrêtées sur ce que doit être un roman. Est-ce le détail vrai?. La mort à la dernière page? Pas du tout! Voici ce qu’elle se dit: «Claire, mon amie, ne cherchez pas à plaire à tout prix, à suivre les modes, à craindre les critiques. Écrivez. Et écrivez le bonheur, le malheur, l’impossible si vous le souhaitez, même si vous êtes la seule à le souhaiter.»

Certaines réflexions adoptent parfois un ton plus piquant. Ainsi, l’auteure note que le sous-entendu n’existe pas seulement dans les conversations médisantes, où il est si utile et profitable. Le sous-entendu est aussi habile en littérature: «Ne racontez pas tout, n’expliquez rien», disait Proust. Claire Martin s’y essaie «et découvre sans cesse que le silence est souvent plus savoureux que ce détail indiscret».

Dans ses romans, l’écrivaine refuse presque toujours de nommer la ville. Elle croit, comme le dit Julien Gracq, que «dans un ouvrage de fiction, tout doit être fiction». Une ville identifiée devient un personnage à qui il faut donner un rôle. «Mais si vous la situez dans les mots, le langage, j’en suis ravie.»

Vives et enjouées, parfois moqueuses, les réflexions de Claire Martin sont toujours justes et leur ton reste à l’image de leur auteure: irrésistible. Elles nous font savourer l’esprit d’une grande dame de la littérature canadienne.

Claire Martin, À tout propos, réflexions, Éditions de L’instant même, 2006, 186 pages, 19,95 $.