Gilles Jobidon vient de publier un ouvrage intitulé Morphoses. Le livre ne dit pas s’il s’agit d’un roman ou d’un récit poétique. Les données de cataloguage (que personne ne lit) indiquent que le livre fait partie de la collection «La voie des poètes», mais le communiqué qui accompagnait mon service presse parlait plutôt de récits au pluriel. Récits qui déclinent les mots désirs, blessure, solitude, deuil et lumière en plusieurs tableaux.
Dès les premières lignes, le narrateur écrit qu’«à l’heure de ces mots, je suis rangé de l’autre côté de la clôture de ton quotidien». À qui ou de qui parle-t-il? De l’être cher: «tu es ancré dans mon cœur», lit-on à la page suivante. Deux hommes que la mort sépare. Deux hommes qui n’ont jamais su quand l’amour a commencé. «On sait toujours qu’il s’évanouit, comme une vague, si déferlante soit-elle, finit par se coucher sur la grève, docile comme un mouton de mer.» Tous les mots du livre de Gilles Jobidon baignent dans les eaux de l’amour, de l’espoir, des armes secrètes, ultimes. «La chair des mots, leurs arcanes vermeils.»
Les récits qui composent Morphoses ne totalisent que 100 pages, dont 30 sont entièrement blanches. Plusieurs ne présentent que deux, trois, quatre ou cinq mots. Une économie de mots, donc, souvent finement saupoudrés sur la grève, au grand air.
Des mots brillamment ciselés, des envolées poétiques – «Ta peau sertie au fond de mon âme.» – parfois poético-érotiques: «Dans cette pluie d’opales qui a giclé de toi un peu sur mes hanches, un peu sur ton ventre, du geste de ta joie, tout l’Orient des siècles.»
L’écriture de Gilles Jobidon est sublime, elle sait étonner, voire surprendre. Il décrit, par exemple, comment l’être cher goûte les petits cadeaux épars, presque invisibles, que lui lance la vie: «les courbes d’une citrouille, la langueur des jours sans soleil, le grisant des fumerolles d’un matin qui monte au ciel». Puis il ajoute que toutes ces choses hors prix ne coûtent rien, «ne coûtent que la vie». Quel beau jeu d’opposition!