Savoureuse bio de René Lévesque

Partagez
Tweetez
Envoyez

Publié 03/11/2009 par Paul-François Sylvestre

La biographie de René Lévesque a déjà été écrite par Pierre Godin, en quatre tomes. Jean Provencher, Peter Desbarats et Graham Fraser y ont ajouté leurs réflexions. C’est maintenant au tour de Daniel Poliquin de tracer un portrait où est distillé ce qu’on sait déjà de cet homme politique. Il le fait à la demande de John Saul et son René Lévesque est dédié à son père, le journaliste Jean-Marc Poliquin.

L’ouvrage est destiné au grand public. Moins de 200 pages. Pas de notes en bas de page. Concision et simplicité à l’ordre du jour. Et le ton adopté est souvent celui du conteur qui s’adresse directement à nous. En voici quelques exemples. «Laissons-les jouer encore un moment, ces enfants de la mer gaspésienne…»

Lorsque Poliquin mentionne qu’un lutteur montréalais sert de garde du corps à Lévesque lors de sa première campagne électorale, il note que c’est «de la vraie lutte, ça. Écoliers et enfants de chœur s’abstenir.»

Puis, lorsqu’il est question d’indépendance des peuples ailleurs dans le monde, il ajoute: «Eh ben, pourquoi pas icitte itou, hein?» Plus loin, en parlant de souveraineté-association, Poliquin mentionne le refus de Bourassa d’adhérer au Mouvement Souveraineté-Association et écrit qu’«on ne peut pas partir et rester en même temps, avoir le cochon à la soue et le porc dans l’assiette.» Style on ne peut plus savoureux.

Poliquin brosse un portrait très réaliste de Lévesque: un homme qui fume comme une cheminée, qui court les filles, qui joue aux cartes des nuits durant, un homme brouillon, désorganisé, qui néglige sa tenue vestimentaire. Un homme qui a aussi un rare talent, celui d’avoir excellé dans l’art d’encapsuler sa pensée en quelques mots que les Québécois et Québécoises retenaient et répétaient aisément.

Publicité

Le savoureux de cette biographie tient aux nombreuses anecdotes qui émaillent le texte. On se souvient de la voix rauque de Lévesque. Cela est dû à une laryngite contractée après avoir couvert la campagne d’Alsace, ce qui donnera à sa voix «ce son perpétuellement enroué».

On a souvent entendu parler de la grande noirceur des années Duplessis; pour beaucoup de collégiens et de couventines, c’était un temps de répression sexuelle. «Vrai. Mais pas pour Lévesque, qui multiplie les conquêtes extraconjugales.» Autres anecdotes: Ottawa déplaît au premier abord à Lévesque; «il s’y sent aussi étranger que sur une autre planète.»

Trudeau et Bourassa roulaient en limousine, Lévesque circulait en Datsun. Et cette remarque surprenante: «René Lévesque ne vibrait pas au récit de la Déportation acadienne, du supplice de Louis Riel, du combat acharné pour l’école française au Keewatin, au Manitoba ou en Ontario.»

Pour plusieurs historiens et analystes politiques, les élections du 22 juin 1960 marque un tournant majeur, une journée historique, un vent libérateur qu’on a appelé la Révolution tranquille. Poliquin met les pendules à l’heure et rappelle que les libéraux de Jean Lesage ont été élus par la peau des fesses. Chiffres à l’appui, Poliquin note qu’«il aurait suffi que 400 Québécois changent d’idée ce jour-là pour que la Révolution tranquille soit ajournée de quelques longues années encore.»

Comme on peut s’y attendre, les relations Lévesque-Trudeau sont finement analysées. Lévesque n’aimait pas Trudeau avant qu’il devienne Premier ministre du Canada, maintenant que c’est fait, «il l’exècre.» Mais le plus fâchant dans cette relation, c’est que les Québécois aiment les deux hommes politiques. «Les voilà enchaînés au même boulet pour longtemps.»

Publicité

Lévesque, il importe de le rappeler, est né au Nouveau-Brunswick, à Campbellton. Et Poliquin vient de s’installer en Nouvelle-Écosse. Il dit que René Lévesque est son premier ouvrage «acadien». Pas étonnant alors qu’il écrive que Lévesque «croit qu’une nation fortifiée sur le plan politique et économique donne du muscle à chaque individu: c’est la marée qui soulève tous les bateaux et leur donne l’accès au grand large.»

La plus grosse erreur commise par Lévesque, selon Poliquin, est de ne pas avoir quitté la politique après la défaite référendaire de 1980. «Il reste. Il n’aurait pas dû.» C’est le début de la dégringolade. Il va commencer à improviser des discours parfois incohérents. Son verbe étincelant va de moins en moins opérer. «René Lévesque a cessé d’être René Lévesque.»

Poliquin signe aussi la version anglaise de ce livre, publié chez Penguin; il ne s’agit pas d’une traduction puisque certaines références diffèrent d’un livre à l’autre. En anglais on ne retrouve pas nécessairement les références à Talleyrand, Tocqueville, Chateaubriand, Rousseau, Memmi, Ledru-Rollin et Étiemble Recette.

Pour qui connaît l’œuvre de Daniel Poliquin, il n’est pas étonnant de voir ce Franco-Ontarien se pencher sur la vie d’un grand Québécois. L’écrivain né à Ottawa a toujours été un observateur averti de la politique québécoise. On se souvient de la critique virulente du nationalisme québécois qu’il proposait dans Le Roman colonial (Boréal, 2000). Aujourd’hui il signe un portrait de René Lévesque, figure paternelle par excellence de ce même nationalisme.

Daniel Poliquin s’est surpassé. Il nous offre un ouvrage brillamment documenté, ingénieusement architecturé, savoureusement coquin.

Publicité

Daniel Poliquin, René Lévesque, essai biographique, Montréal, Éditions du Boréal, 2009, 210 pages, 17,95 $.

Auteur

  • Paul-François Sylvestre

    Chroniqueur livres, histoire, arts, culture, voyages, actualité. Auteur d'une trentaine de romans et d’essais souvent en lien avec l’histoire de l’Ontario français. Son site jaipourmonlire.ca offre régulièrement des comptes rendus de livres de langue française.

Partagez
Tweetez
Envoyez
Publicité

Pour la meilleur expérience sur ce site, veuillez activer Javascript dans votre navigateur