L’écrivain demeure l’être le plus chanceux de la Terre

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Publié 02/03/2006 par Paul-François Sylvestre

Un athlète aime-t-il lire la biographie d’un sportif? Un entrepreneur prend-il plaisir à lire la vie d’un homme d’affaires? Je ne saurais le dire, mais je peux affirmer que j’ai adoré lire Le Château de sable, autobiographie de l’écrivain Pierre Chatillon. Plus connu au Québec qu’en Ontario, cet auteur a publié 25 ouvrages, allant de la poésie au roman, en passant par la nouvelle, le conte, le récit et l’essai. En relatant son parcours d’écrivain, il décrit une période bien précise, soit celle de la Grande Noirceur et de la Révolution tranquille au Québec. Cela m’a vivement intéressé.

Né le 6 janvier 1939 à Nicolet, Pierre Chatillon a eu une enfance heureuse, tellement heureuse qu’il n’en est jamais sorti et qu’il y revient aujourd’hui avec délices. «Si j’écris avec tant d’abondance, si je compose des chansons et de la musique, c’est que j’aime jouer, que j’ai conservé la faculté de m’émerveiller, que je ne me laisse pas li-miter par la réalité, que je prends plaisir à la remodeler, à la réinventer.»

Chatillon a toujours su conserver l’état d’émerveillement qui caractérise un enfant et cela l’a prédisposé à livrer une poésie qu’il définit en ces termes: «La poésie consiste à donner des yeux neufs au lecteur, à le guérir de la banalité qui s’est ins-tallée comme une sorte de maladie dans le regard qu’il jette sur la vie, à lui redonner l’émerveillement de ses yeux d’enfant.»

Pour en arriver à donner des yeux neufs à ces lecteurs, Pierre Chatillon a dû d’abord traverser une période difficile. De 1948 à 1960, le premier ministre Duplessis et les évêques «se donnèrent la main pour refuser le progrès, empêcher l’évolution de la société, et plongèrent le Québec dans ce qu’on appelle la Grande Noirceur.»

Pour son plus grand malheur, Pierre Chatillon fait ses études à cette époque-là. Il sort du cours classique «en sachant faire le signe de la croix, mais sans savoir faire un signe de piastre.» Il garde de ses années au Séminaire de Nicolet et de Joliette le souvenir d’une uniformité dans l’habillement et la pensée. C’est à un prêtre que le jeune Pierre doit la découverte du mot «haine». Il était entré au Séminaire en toute innocence, voyant dans les prêtres des amis et des puits de sagesse, mais il a trouvé en plusieurs d’entre eux «des geôliers, des inquisiteurs, des tourmenteurs d’âmes.»

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Dans un séminaire janséniste, Chatillon découvre néanmoins des auteurs qui le marquent à tout jamais. Chateaubriand lui révèle le pouvoir de l’écriture. Giono lui apprend la mise en application des techniques de la description et du portrait. Maupassant lui enseigne l’art de condenser descriptions et por-traits, plus l’art de bâtir une intrigue. Nerval lui apprend que la poésie est incantation, envoûtement et ensorcellement. Avec Baudelaire, il trouve le rythme de la mer, la magie des lettres musicales, le parfum des sons. Nelligan l’envoûte par la somptuosité de ses images, par son sens musical et par ses dons de coloriste (il le bouleverse aussi par l’extrême morbidité de ses thèmes).

Des professeurs ne manquent pas, hélas, de dire au jeune Chatillon qu’il va devenir «une grosse tête pleine de jello» s’il continue de lire Nerval, Baudelaire et Rimbaud. La poésie est alors considérée «comme une sorte de maladie honteuse, pratiquée par des anormaux incapables de suivre le droit chemin». Pierre Chatillon tient bon et fait mentir ses professeurs-oiseaux de malheur.

La Révolution tranquille vient à sa rescousse, il est vrai, tout comme la Floride. C’est assis dans les dunes de sable blanc de l’île d’Anna Maria, sur la côte ouest de la Floride, que Pierre Chatillon a écrit de nombreuses chansons, le roman La Mort rousse, le recueil de poésie Le Livre de la lumière et des textes inédits. «Je n’aurais jamais pu écrire ces livres au Québec, avoue-t-il. Je ne viens pas ici uniquement pour passer l’hiver à la chaleur, j’y viens parce qu’aucun endroit ne m’inspire avec autant d’abondance.»

Presque chaque chapitre de son autobiographie commence par une référence au paysage marin dans lequel il baigne. Il aime profiter de la fraîcheur et de la luminosité très pure du matin. Le soleil allume alors le bleu du ciel «telle une immense houle qui déferle jusqu’à l’horizon, puis le ciel coule sur la terre et tout son bleu compose la mer». L’île d’Anna Maria demeure son lieu d’ins-piration.

Aux gens qui croient que les artistes et écrivains préfèrent la chi-mè-re au réel, Pierre Chatillon répond que ces gens créent des œuvres qui sont un nouvel objet ajouté à la réalité. «Cet objet est si solide, note-t-il, qu’il survit à la mort de l’artiste. Et parfois même il survit à la disparition d’une civilisation.» Des poèmes de l’Égypte et de la Grèce antiques ne sont-il pas encore bien vivants alors que les plus épaisses murailles des plus prestigieuses cités ont depuis longtemps été réduites en poussière?

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Pierre Chatillon conclut son autobiographie en affirmant qu’il est l’homme le plus chanceux de la Terre puisqu’il peut inventer des histoires. Il peut «chasser l’ennui, donner un sens à (sa) vie en créant des poèmes. Désormais, je veux jouir de cette chance et partager ce plaisir avec les autres.»

Pierre Chatillon, Le Château de sable, une vie d’écrivain, autobiographie, préface de Louis Caron, Éditions David, Ottawa, 2005, 420 pages 28 $.

Auteur

  • Paul-François Sylvestre

    Chroniqueur livres, histoire, arts, culture, voyages, actualité. Auteur d'une trentaine de romans et d’essais souvent en lien avec l’histoire de l’Ontario français. Son site jaipourmonlire.ca offre régulièrement des comptes rendus de livres de langue française.

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