Frigerio croit en l’incroyable pour croire en lui-même

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Publié 09/06/2009 par Paul-François Sylvestre

Vittorio Frigerio vit entre Toronto et Halifax. Son troisième roman, La Cathédrale sur l’océan, épouse la forme d’une fable surréelle et d’une basilique à l’eau. Cela reflète le virage surréel que prend la vie d’un architecte lorsqu’une déconvenue professionnelle le mène à une énigmatique chasse à l’homme, puis à un pari existentiel aux dimensions mystiques.

Cet architecte, c’est Gaspard. Depuis des mois, il dessine un grand centre commercial aux qualités architecturales inouïes. Mais lorsqu’il se rend à Halifax pour enfin rencontrer son client, il n’y trouve qu’un bureau vidé la veille.

Ne pouvant accepter que l’œuvre de sa vie se dissipe de si banale façon, Gaspard loue un logement minable et entreprend de retrouver son commanditaire.

Que notre protagoniste n’ait en rien l’allure d’un détective n’aide pas les choses. Presque aussitôt, Gaspard rencontre Madeleine, jolie jeune femme éperdue qui l’introduit dans une curieuse secte millénariste.

Qu’il soit peu enclin aux quêtes spirituelles n’aide pas non plus les choses. Mais à son grand étonnement, il s’ouvrira à leurs croyances et bâtira leur cathédrale.

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Directeur du Département d’études françaises à l’Université Dalhousie, de Halifax, Vittorio Frigerio lance son personnage sur diverses pistes ou avenues de la métropole néo-écossaise: Quinpool Road, Dresden Row, Barrington Street, Citadel Hill, pont MacDonald. Tout se déroule en neuf jours. Il y a peu d’action dans ce roman et j’avouerais même qu’on tourne parfois en rond.

Le récit n’est pas sans bénéficier de quelques pointes d’humour. Ainsi, l’auteur écrit qu’on s’attendait à ce que Gaspard soit accompagné… par Melchior et Balthazar, évidemment (les noms des rois mages). Dans la salle de culte où Gaspard prend place, il remarque deux malabars musculeux à la tête carrée; il les baptise aussitôt Humpty et Dumpty.

L’auteur s’amuse, au passage, avec quelques dictons. À chaque jour suffit sa peine, mais Frigerio écrit plutôt «Chaque jour a son addition qu’il faut payer.»

On sait que les cordonniers sont les plus mal chaussés, mais se demande-t-on s’«il n’y a qu’un pas entre un pompier et un incendiaire»? Là où le romancier excelle, c’est dans les descriptions de personnages secondaires ou de figurants.

En un simple mais efficace coup de crayon, il nous permet de les imaginer droits devant nous. En voici quelques exemples: «L’homme courtaud et chauve, à la moustache tombante… ne leva même plus les yeux sur lui», «un jeunot aux épaules carrées et aux cheveux blonds coupés ras qui lui lança une œillade fort peu compatissante», «les traits creusés de l’homme, les petits yeux vifs, la moustache grise jaune de nicotine sous le nez, le sourire qui laissait entrevoir des dents noircies», «un autre particulier à la silhouette flasque, au ventre en pointe, aux joues tremblotantes, avec un bouc blond délavé collé sur un menton fuyant».

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La Cathédrale sur l’océan est un roman qui démontre à quel point un homme peut croire en l’incroyable pour croire en lui-même. Son histoire interpelle en nous ce qui aspire à donner sa pleine mesure et qui devine les qualités supérieures de l’esprit que cela exige.

Le supermarché que Gaspard comptait faire ériger se confond avec une basilique. «Seul le nom changerait, le nom et quelques détails sans importance.

Il avait été appelé à Halifax pour découvrir le vrai nom de ce qu’il avait créé sans le savoir et tout s’était mis en place pour que cette minute arrive.»

Même si j’ai trouvé la construction narrative un peu déroutante, même si je n’ai pas toujours compris que le dévouement est la voie du salut, je dois reconnaître que les tâtonnements de Gaspard et «ses tentatives de cerner un sentiment nouveau, un concept unique étaient les signes de la lente émergence de ce qui avait toujours été présent en lui.»

Tout compte fait, c’est la finesse du style de Vittorio Frigerio qui a fini par avoir le dessus.

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Vittorio Frigerio, La Cathédrale sur l’océan, roman, Sudbury, Éditions Prise de parole, 2009, 316 pages, 24,95 $

Auteur

  • Paul-François Sylvestre

    Chroniqueur livres, histoire, arts, culture, voyages, actualité. Auteur d'une trentaine de romans et d’essais souvent en lien avec l’histoire de l’Ontario français. Son site jaipourmonlire.ca offre régulièrement des comptes rendus de livres de langue française.

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