La densification urbaine: un mauvais départ

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Publié 02/03/2006 par Claude Bergeron

Deux articles parus le 1er octobre dans le Toronto Star alimentent une réflexion sur un thème commun, à savoir la densification du territoire urbain.

Dans un premier texte, on débat des vertus et des tares du Ontario Municipal Board (OMB). On y rapporte les paroles du président de la Urban Development Institute, une créature de l’industrie du bâtiment, qui déclarait: «Les citadins doivent se rendent compte que le leur milieu de vie va inévitablement être altéré.» De même dans sa rubrique régulière, le critique d’architecture du quotidien écrit que dans 20 ans Toronto sera transformée en une «forêt d’édifices géants» et avertit qu’on devra se préparer à l’inévitable.

Certes, les changements seront inévitables et il faudra s’y préparer. Bien au-delà de la forme à donner aux tours d’habitation de 40 étages et plus, il est urgent de réfléchir aux problèmes que leur concentration entraînera pour le transport et autres systèmes d’infrastructure, comme les réseaux d’aqueduc et d’égout. Ces problèmes viennent surtout de l’abus de densification dans lequel nous sommes déjà engagés, comme le constate l’ex-urbaniste en chef de Toronto Paul Bedford.

La pression sur le transport en commun apparaît déjà, même s’il est encore trop tôt pour soutenir que l’abus de densification fait sentir ses effets. À l’heure de pointe, les trains de la ligne entre Union et Finch sont pleins dès leur départ. Qu’arrivera-t-il quand des «forêts» de tours borderont la rue Yonge? Les quais du métro sont trop étroits pour accueillir les milliers de voyageurs qui convergeront à chaque station.

Sur la ligne de Bloor, les trains venant de l’ouest sont déjà remplis à capacité lorsqu’ils arrivent à la station Dundas West, obligeant les centaines de personnes sur le quai à attendre le prochain métro. Dans ce dernier cas, l’encombrement serait soulagé si les voyageurs se dirigeant vers le bas de la ville pouvaient prendre un train qui les y mène depuis Dundas West plutôt que de leur imposer un détour jusqu’à la station St. George.

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La solution consiste précisément en une dispersion sur un plus grand nombre de lignes. Il faut offrir aux voyageurs un certain choix de parcours pour au moins éviter que tous soient forcés de circuler le long d’un même axe. Parallèlement à cette mesure, la densification du territoire doit se faire en des endroits dispersés. C’est pourquoi il est essentiel de poursuivre avec la plus grande diligence cet objectif du plan officiel de la ville qui consiste à améliorer le transport en commun le long des artères où la densité d’occupation sera accrue.

Le plan officiel envisage toutefois une densification modérée, des avenues harmonieuses bordées d’édifices d’environ quatre à six étages. Mais la fièvre de densification, en voie de devenir endémique, menace ce beau projet. Tout cela à cause de l’avidité abusive de plusieurs qui agissent comme si la densification ne devait se réaliser que sur quelques hectares seulement.

Les promoteurs sont les premiers à y trouver leur profit. À l’encontre des règlements de zonage, ils obtiennent du OMB l’autorisation de construire des tours de 40 ou 50 étages. Une demande est déjà adressée pour une tour d’habitation de 88 étages. La Ville aussi veut en ériger une de 49 étages au-dessus du centre Hummingbird et le Musée royal de l’Ontario, une de quarante-six. Même les églises, pour se renflouer, vendent leurs droits aériens.

Les défenseurs du OMB ne se font aucun scrupule d’affirmer que cet organisme, auprès duquel sont contestées les décisions du conseil municipal, est seul à protéger l’objectif de densification, autrement menacé par les résidents et échevins dont l’optique n’embrasse que leur seul quartier.

L’expérience montre que les résidents sont toujours perdants dans les jugements rendus par le OMB. Mais les résidents ne s’opposent pas au changement; ils s’opposent à l’abus. C’est la raison de leur opposition aux deux tours voisines de 39 et 54 étages au carrefour Yonge et Eglinton et à celle de 33 étages dans le quartier historique St. Lawrence. Quoi d’autre que l’abus a mobilisé les résidents de l’Annex? Après avoir réclamé un amendement au plan officiel et au règlement de zonage pour la construction d’une tour de 18 étages au coin des rues Bloor et Bedford, les promoteurs, poussés par l’avidité et l’audace, remplaçaient celle-ci par une autre de 33 étages.

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Une tour d’habitation, contrairement à un projet pour le transport, engage des intérêts limités. Plutôt que de bénéficier à l’ensemble de la ville, elle ne pro-fite qu’à quelques-uns, principalement aux promoteurs. Pourquoi leur profit devrait-il prévaloir sur celui des résidents d’un quartier?

La densification du territoire, quant à elle, a une portée beaucoup plus large où des intérêts collectifs doivent être respectés. Pour cela, a-t-on besoin d’un organisme externe comme l’OMB qui s’acharne à contrecarrer des plans que des équipes de spécialistes ont mis des années à concevoir et que les conseillers municipaux ont approuvés, renonçant au moins pour cette fois à l’esprit de clocher dont on les accuse?

On ne peut négliger le succès financier du promoteur, mais il ne saurait être le seul facteur déterminant. S’il l’était, on ne construirait pas une ville plus belle pour l’avenir qu’on en a construit dans le passé. D’autres préoccupations procurent des satisfactions plus durables et à un plus grand nombre d’individus.

Le gouvernement provincial, qui s’engage à réformer l’OMB, doit se hâter d’agir avant que partent sur un mauvais pied les travaux le long des avenues dé-signées dans le plan officiel ainsi que ceux dans le port où les promoteurs ont eu la partie belle depuis trop longtemps.

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