Un coup d’état dans les règles de l’art

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Publié 01/03/2006 par Dominique Denis

C’est désormais indéniable, le hip hop est fermement ancré dans le paysage musical franco-ontarien, occupant la même place stratégique – et symbolique – qui était naguère réservée au folk. Après Afro Connexion et autre Shah Loskar, c’est au tour de 71M VWA (lire «septième voie») d’émerger de l’axe 819-613 (lire «Outaouais»), pour faire rimer les espoirs et frustrations de cette génération qui a troqué les guitares pour les platines.

Autant le dire tout de suite: il ne se trouve rien, sur Coup d’état, qui risque de donner lieu à la révolution annoncée par le titre, rien qui soit susceptible d’oxygéner un genre défini à 90% par un petit noyau de clichés et de croyances (l’appartenance à son clan – ou sa posse, si vous préférez, l’incompréhension des «autres», le salut par l’écriture, le tout épicé d’une pincée de provoc macho). Pourtant, R. Léo et Patchostars, les deux voix et plumes du collectif, ont du talent à la mesure de leurs convictions, et possèdent assez de vocabulaire pour cultiver une imagerie parfois étonnante («Je suis le bouquet de ronces qui entrave les pieds du chasseur», lancent-t-ils dans l’ébouriffant Je suis…, sans doute le meilleur morceau de l’album.)

71M VWA aurait sans doute dû solliciter l’oreille critique d’une tierce partie, question d’éviter quelques dérapages (une pénible ode à notre capitale nationale!), et de tempérer sa volubilité naturelle. Il eût été préférable, en effet, de condenser une douzaine de temps forts en une heure ou moins, plutôt que de nous étaler 19 titres sur 75 mi-nutes, un parcours de beats et de rimes que même les inconditionnels risquent de trouver épuisant. Car en matière de rap comme ailleurs, il est bon d’oser, à condition de savoir doser.

Stéréotaxi…dermie?

Vous pensiez que la récente rencontre entre Offenbach et Martin Deschamps visait à nous faire croire en la réincarnation de Gerry Boulet? Alors, que penser de Stéréotaxie: avec son premier cd éponyme (Elgro Disques), paru il y a quelques mois, l’ensemble québécois renouvelle le bail des Colocs dans notre conscience collective, avec une poignée d’anciens membres et encore plus de nouveaux, parmi lesquels on retrouve Joël Poliquin dans le rôle de Dédé Fortin, un rôle pour lequel il possède à s’y méprendre la voix, la verve et le vocabulaire.

La musique, d’abord: tant pour sa bonne humeur parfois décapante que pour la confluence de styles abordés (funk néo-orléanais ou façon JB’s, ska, reggae, blues, voire bluegrass, le tout servi à grands renforts de cuivres), Stéréotaxie reste fidèle à l’œcuménisme qui fit naguère la gloire de la bande à Dédé.

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Fidélité, aussi, sur le plan du propos, puisque les chansons co-signées par Poliquin et Mike Sawatzky tirent sur tout ce qui bouge, qu’il s’agisse de la connerie de nos soi-disant élites (Les esprits moyens), de la soupe de plus en plus prévisible dont les médias nous gavent le cerveau (La convergence médiatique), ou de tout ce qui, dans la vie, conspire à nous bloquer les horizons de la folie et de la liberté (Veux-tu?).

Puisque ce terrain a longtemps été cultivé par les Colocs, il serait difficile de qualifier d’original ce premier opus. Cela dit, on aurait tort de bouder son plaisir, de ne pas se laisser subjuguer par la redoutable énergie se dégageant de cet ensemble qui s’impose déjà, ne serait-ce que sur le plan technique, comme un des plus solides au Québec.

Le Gavroche de Gercy

Si Stéréotaxie revendique un langage profondément ancré dans la réalité québécoise (au point où sa musique en serait difficilement «exportable» en France), alors La chance (EMI), le premier album d’Anis, nous plonge dans un univers – et une langue – qu’il convient d’apprivoiser avec l’aide d’un dictionnaire français-argot-verlan.

Ce fils d’immigrés russe et marocain (côtés maternel et paternel, respectivement) pourrait bien devenir aux banlieues nord de Paris ce que Renaud fut naguère au XIVe arrondissement: une manière de Gavroche à la guitare, qui prend le pouls de son terroir pour nous en dépeindre la magie autant que les travers.

Côté musical, par contre, le bonhomme a plus en commun avec les Québécois précités, déployant sur La chance une vaste palette de styles, qui reflètent ses coups de cœur successifs: pour la soul feutrée, la chanson pied de nez (on pense presque au Dutronc de Il est cinq heures, Paris s’éveille), le vieux jazz (genre cinéma muet), le reggae et hip hop (banlieue oblige), le tout servi par une impressionnante coterie de musiciens.

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Certains auront peine à apprivoiser la voix un brin nasillarde et le débit monocorde de ce poète du métro. D’autres trouveront que, mises bout à bout, ses petites chansons manquent de relief mélodique. Mais si l’on peut passer outre ces carences, l’œuvre d’Anis, à l’image du bonhomme, rayonne d’une chaleur fraternelle qui pourrait bien lui gagner quelques fans de ce côté de la mare. Pour en avoir le cœur net, Anis sera d’ailleurs de passage à Québec et Montréal, les 4 et 5 novembre.

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