La modernité de la musique ancienne

Entrevue avec Suzie Leblanc

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Publié 28/02/2006 par Marta Dolecki

«La musique ancienne est une musique très proche du cœur, très proche des émotions. À l’instar de la musique populaire, elle a été écrite pour toucher les gens.» Quand la soprano d’origine acadienne Suzie Leblanc entame des airs des XVIIe et XVIIIe siècles, sa voix délicate, d’une grande clarté, témoigne de cette joie extrême de chanter. Et l’interprète de préciser qu’elle souhaite surtout briser les stéréotypes associant la musique ancienne à un répertoire austère et difficile d’accès.

Loin de l’image de la diva froide et capricieuse, Suzie Leblanc est d’un naturel calme et avenant. Au téléphone, sa conversation se déroule naturellement, sans fard, sereine et conviviale. À 10h passées, en cette matinée de février, elle reconnaît, de son propre aveu, ne pas être pas une personne du matin. Néanmoins, elle accepte de se prêter gracieusement au jeu de questions-réponses de L’Express, fin prête pour cette première leçon de musique.

Au fond, la musique ancienne, dit-elle, c’est un peu comme le jazz. Dans les deux cas, les interprètes se promènent autour d’accords assez simples pour les embellir, y ajouter leur touche propre. «On regarde ce qui est écrit, puis, tout comme en jazz, on trouve des façons d’improviser, d’ornementer la musique pour créer quelque chose de spontané qui se détache de la page musicale», d’affirmer la soprano, spécialisée dans les répertoires des XVIIe et XVIIIe -siècles.

Comme elle le dit elle-même: «Il faut simplement y aller», se lancer, tout en respectant les données formelles de la partition d’origine. «Les représentations du XVIIe, du XVIIIe étaient loin d’être figées, explique-t-elle. Elles comportaient beaucoup d’aspects festifs et théâtraux. Quand on a découvert la musique ancienne, on s’est beaucoup soucié de son authenticité, des traités, des recherches académiques, au détriment d’autres aspects. L’improvisation, quant à elle, est un art qui s’est peu à peu perdu», raconte Suzie Leblanc.

Les 3 et 4 mars prochains à Toronto, c’est justement avec cette théâtralité, cette vie intrinsèque de la musique ancienne que Suzie Leblanc tentera de renouer. Dans les deux oratorios auxquels elle prend part, Jephte et Jonah, du compositeur italien Giacomo Carissimi, Suzie Leblanc se soucie moins de trouver la note juste que de restituer ses rôles avec toute l’intensité dramatique nécessaire, de manière à pouvoir toucher le spectateur contemporain, souvent «habitué à voir beaucoup d’horreurs à la télévision», dit-elle.

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«Dans Jephte, j’incarne une jeune femme, la fille de Jephte, sacrifiée très jeune. Ce qu’elle revendique dans cet oratorio, c’est sa virginité. Elle va demander à son père de lui accorder une dernière chose avant de mourir: qu’elle puisse aller dans la montagne avec ses amis afin de pleurer sa virginité. Cet oratorio représente tout un défi d’interprétation. Il faut toucher le public du XXe siècle avec un thème comme celui-là», estime la soprano.

Pour Suzie Leblanc, l’amour de musique aura toujours été une affaire de famille. À huit ans, la jeune fille rejoignait sa première chorale, à Moncton, en Acadie, sa terre natale. «Ma mère était chanteuse. J’avais l’habitude d’écouter de la musique à la maison. Les Acadiens et la musique, c’est vraiment un lien naturel. Presque tout le monde chez nous joue du piano ou du violon», note Suzie Leblanc.

Ce qui était moins naturel était la transition de la jeune fille de la musique populaire vers la musique ancienne. C’est en assistant à un concert du Studio de musique ancienne de Montréal (SMAM), vers l’âge de 16 ans, que Suzie a eu le coup de foudre pour cette forme d’expression.

«J’étais complètement fascinée. J’avais très peu entendu de musique ancienne avant ce jour-là. Cependant, je comprenais ce langage mieux que tous les autres langages musicaux que j’avais entendus auparavant. Ça me parlait, tout simplement. C’était vraiment un instinct, j’avais l’impression de lire un livre que j’avais déjà lu. Il y a avait quelque chose de très familier, de très séduisant dans ce répertoire», se rappelle-t-elle.

S’en est bientôt suivie une carrière à l’étranger, qui, pendant 12 longues années, a mené la soprano aux quatre coins de l’Europe, en Hollande, en Allemagne, à Londres, comme remplaçante d’Emma Kirkby au sein du l’ensemble The Consort of Musicke.

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Pendant plus de 15 ans, Suzie Leblanc n’a juré que par la musique ancienne, avant de se tourner vers d’autres répertoires. Récemment, elle a enregistré un CD en collaboration avec le pianiste Yannick Nézet-Séguin. Elle y interprète les Lieders de Mozart. «Je me suis sentie tout à coup passionnée par la musique de Mozart. C’est arrivé un peu sans que je m’en aperçoive, 15 ans après mon coup de foudre initial pour la musique ancienne. Il était intéressant d’aller fouiller, de découvrir tous ces Lieders. C’était vraiment un beau travail, une expérience merveilleuse et enrichissante», conclut la chanteuse d’un ton enjoué.

Jephte/Jonah, les 3 et 4 mars à 20h. Trinity St Paul’s United Church, 427 rue Bloor Ouest. Billets: de 20 à 48$ et de de 14 à 40 $ pour les étudiants et les aînés. Billetterie: 416-964-6337. Pour plus d’informations: www.torontoconsort.org.

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