Référendum de 1995: «une question de vie ou de mort» pour la francophonie canadienne

Référendum 1995
Dans les semaines précédant le référendum québécois de 1995, une partie de la francophonie canadienne s’inquiétait de son avenir. Photo: Zorion, CC-BY-SA, Wikimedia Commons
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Publié 29/10/2025 par Julien Cayouette

Il y a 30 ans, le 30 octobre 1995, plusieurs francophones à travers le pays poussaient un soupir de soulagement. Le Québec venait de voter «non» à un référendum qui aurait pu mener à son indépendance, mais aussi à une minorisation encore plus grande des francophones du Canada.

Quand Paul Denis est devenu président de l’Association canadienne-française de l’Alberta (ACFA) en 1993, il pensait que son mandat serait «probablement très simple, très facile». L’ACFA a pourtant été l’un des organismes les plus actifs pour rappeler l’importance du Québec pour les communautés francophones partout au pays.

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Paul Denis.

Les promesses d’appui continu à la francophonie canadienne faites par le camp du «oui» ne rassuraient pas les membres de l’ACFA. De façon indépendante, l’organisme avait organisé une campagne publicitaire qui appelait à la solidarité entre francophones au Canada dans des médias du Québec, l’envoi de cartes postales et une conférence de presse à Montréal.

Du point de vue de l’organisme albertain, le référendum québécois était une question existentielle pour la francophonie canadienne: le «oui» marquerait la fin de l’appui à la langue française au Canada.

«Parce que si le Québec se séparait, aucune autre province n’aurait accepté de continuer à vivre avec la Loi sur les langues officielles. Pour nous autres, c’était une question de vie ou de mort», lâche Paul Denis.

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Une question existentielle

Au Nouveau-Brunswick, c’est le gouvernement qui s’est engagé. Selon le ministre des Pêches du Nouveau-Brunswick de l’époque, Bernard Thériault, le premier ministre Frank McKenna regrettait le rôle qu’il avait joué dans l’échec de l’accord de Charlottetown. Ce sentiment de culpabilité l’a mené à demander à son caucus francophone de participer aux efforts du camp du «non».

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Bernard Thériault.

L’objectif était de «démontrer que dans une perspective acadienne du Nouveau-Brunswick, il n’y avait pas trop d’avantages à ce que le Québec se sépare». D’un autre côté, vivre dans un Canada où la province qui fait passer le pourcentage de francophones de 4 à 25% ne serait plus là rendrait la vie des francophones encore plus compliquée.

Bernard Thériault était conscient que la majorité de l’Acadie et ses organismes préféraient laisser le Québec décider de son avenir sans interférence. «Mais ils espéraient, sans le dire trop fort, que le Québec reste dans le Canada.»

Déséquilibre

En 1995, François Rocher était un francophone dans une mer d’anglophones: il enseignait à l’Université Carleton, à Ottawa – entre autres des cours de politique québécoise. Il a aussi eu l’occasion de visiter d’autres universités ontariennes.

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François Rocher.

Ce qu’il a vu chez les universitaires et les assistances, c’était de la crainte. «Je dirais qu’il y avait une certaine démonisation du mouvement souverainiste […] et que c’était beaucoup teinté d’un certain paternalisme.»

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Dans ses conversations, il remarquait un double standard chez les anglophones. Ils lui attribuaient presque toujours un biais favorable au Québec parce qu’il était francophone sans considérer leurs propres biais. Pour eux, rester uni «c’était la voix de la raison», les doléances des Québécois et Québécoises avaient peu de poids.

Il a aussi vu – chez les francophones qui assistaient à ses cours – la crainte des conséquences pour la francophonie canadienne. «C’était moins un mépris du Québec qu’une crainte par rapport à leur propre avenir dans une fédération où ils seraient encore davantage minorisés.»

Sudbury «aspiré» dans la campagne par Pierre Falardeau

Lors d’un discours au Collège Rosemont à Montréal, le 27 septembre 1995, le cinéaste québécois Pierre Falardeau prévient l’auditoire: si le Québec vote «non», la province deviendrait «un autre Sudbury». Une référence à un milieu où l’anglais gagne du terrain sur le français.

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Michel Bock.

À l’époque, le professeur d’histoire à l’Université d’Ottawa, Michel Bock, terminait sa maîtrise à l’Université Laurentienne de Sudbury et travaillait dans la salle de nouvelles de la station locale de Radio-Canada. «Tout d’un coup, Sudbury s’est vu aspiré dans la campagne référendaire, sans trop qu’on ait demandé cet honneur», raconte-t-il.

Il reçoit l’affection de trouver pourquoi le cinéaste avait choisi Sudbury comme exemple. Pierre Falardeau lui répondra une semaine plus tard, sur un ton de plus en plus animé: «Là, tu veux que moi, Québécois, je t’explique à toi, Franco-Ontarien, ta propre réalité, ben t’es rien qu’un imbécile!»

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Michel Bock n’aura jamais la réponse officielle, mais il croit savoir pourquoi Pierre Falardeau a pensé à Sudbury.

Un an ou deux auparavant, le Franco-Ontarien avait participé à un atelier de scénarisation organisé par une professeure de l’Université Laurentienne. Elle avait invité Pierre Falardeau à l’animer. Le cinéaste avait donc passé quelques jours à Sudbury, témoin de l’état du français dans la ville minière nord-ontarienne. «Il faut croire que ça l’avait frappé, ça l’avait marqué», avance Michel Bock.

L’expérience n’a en rien diminué son admiration pour le travail d’un des cinéastes les plus marquants du Québec.

La controverse du love-in

Le 27 octobre 1995, plus de 30 000 personnes de partout au Canada se présentent à Montréal pour participer au love-in, une déclaration d’amour au Québec organisé par le camp du «non».

«Je crois que c’est réaliste de penser que c’est surtout l’Est du Nouveau-Brunswick et l’Ontario qui se sont déplacés vers Montréal. Même si je pense que la grande majorité des gens qui étaient à cette manifestation étaient des fédéralistes québécois», avance Bernard Thériault.

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Le financement de ce qui a aussi été appelé la marche pour l’unité fait partie des mystères de la campagne référendaire. Les compagnies aériennes offraient entre autres des rabais substantiels pour ceux et celles qui désiraient s’y rendre. Mais ce n’était pas la seule tactique.

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Joel Belliveau.

En 1995, Joel Belliveau est étudiant à l’Université de Moncton. Il se souvient que le référendum était un sujet de conversation régulier sur le campus. Quelques jours avant le vote, une invitation circule «pour une soirée de discussion sur le référendum».

«Mais très rapidement, une fois qu’on était tous assis, on a vu que c’était le Parti libéral du Canada qui était là pour faire sentir l’urgence de la situation, puis faire ressentir la peur de perdre notre beau pays, etc.», raconte Joel Belliveau, aujourd’hui professeur d’histoire dans le même établissement.

À la fin de la présentation, une annonce surprenante: cinq autobus sont stationnés à l’extérieur. «Vous avez une heure, si vous voulez un voyage gratuit à Montréal», se souvient Joel Belliveau.

Lui et ses amis n’y sont pas allés, dégoutés par la tactique et le manque de respect pour le droit du Québec à choisir. Mais plusieurs ont accepté de profiter d’une excursion gratuite.

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Déjà à l’époque, ce n’était pas clair qui payait pour cette sortie. «[Le love-in] a été un scandale en général, mais ce qu’il faut savoir, c’est que ce scandale-là, ça a été des décisions individuelles.»

Bernard Thériault mentionne qu’un total de 15 autobus avaient été nolisés au Nouveau-Brunswick pour le love-in. Il se souvient bien que le financement de ces déplacements a été une source de controverse. Est-ce que ça comptait comme une dépense du camp du «non» ou pas?

Une enquête du directeur général des élections du Québec a déterminé en 1997 que le financement des déplacements contrevenait à la loi électorale. Cependant, les poursuites ont dû être abandonnées.

Le «oui» venant de l’extérieur

Mais les Franco-Canadiens et Franco-Canadiennes n’étaient pas tous contre la souveraineté du Québec. Michel Bock se souvient de «quelques discussions assez chaudes» entre professeurs de l’Université Laurentienne à Sudbury, alors qu’il terminait sa maîtrise: «Ça ne laissait personne indifférent.»

Pour d’autres, le sentiment de panique n’était pas justifié. Lorraine Fortin avait quitté le Québec pour la Colombie-Britannique en 1992. Elle n’a jamais cru que la francophonie canadienne serait en danger si le Québec devenait indépendant.

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Elle avait vu dans le discours de Jacques Parizeau, le premier ministre du Québec, l’intention d’appuyer les francophones du Canada. «Le référendum n’était pas basé seulement sur une vision rétrécie, égoïste et complètement irréaliste. C’était quelque chose qui était déjà pensé pour rassembler.»

Elle ne s’explique toujours pas aujourd’hui comment une grande partie de la francophonie canadienne a pu céder à la peur. C’était une époque où les acquis se multipliaient, rappelle-t-elle. Comme l’obtention des conseils scolaires francophones dans plusieurs provinces et des collèges en Ontario.

Après le «non»

La victoire du «non» a été un soulagement pour Paul Denis et l’ACFA, même s’ils auraient aimé voir une victoire par une marge plus grande.

Ça n’a pas été instantané, mais François Rocher croit que ce résultat a contribué à une baisse d’intérêt pour la politique québécoise au Canada. «À partir du moment où le gouvernement fédéral a adopté sa loi sur la clarté référendaire, en 1998, la question du Québec est disparue du radar.»

Le danger étant écarté, le sujet était moins intéressant. Par la suite, la diminution de la ferveur souverainiste au Québec, reflétée dans les sondages, a renforcé la tendance.

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De l’autre côté, le Québec semble s’intéresser davantage au sort des francophones depuis. Michel Bock souligne que l’histoire du référendum ne s’arrête pas le 30 octobre 1995. L’évènement a continué à influencer la relation entre les francophonies du pays.

L’un des constats avancés dans le livre Le moment Montfort dans la francophonie canadienne, dirigé par François Charbonneau et Michel Bock, c’est que «l’importance que prend la crise [de l’hôpital Montfort en 1997] dans l’espace public, dans la francophonie canadienne et au Québec, est en bonne partie alimentée par le contexte postréférendaire».

Pendant la crise, les appuis en provenance du Québec sont nombreux et menés par plusieurs politiciens du camp du «oui».

Pour Michel Block, le contexte postréférendaire – et la possibilité toujours présente d’un troisième référendum – «ça a rajouté un gallon d’huile sur le feu et ça a contribué à faire de Montfort une crise d’envergure nationale».

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