Un mot à la fois : Jozé Piranian, humoriste et motivateur bègue

La plus récente aventure de l’humoriste-motivateur Jozé Piranian était la première mondiale du long métrage documentaire consacré au parcours du Torontois d’origine libanaise pour faire la paix avec sa réalité de bègue. Il est aussi polyglotte, ce qui fait qu’il bégaie en plusieurs langues!

Le hasard fait bien les choses puisque le documentaire bilingue a été présenté au festival REEL World la même semaine que la Journée internationale de sensibilisation au bégaiement, déclarée le 22 octobre depuis 1998.

Avec Du silence à la scène / Words Left Unspoken, on découvre la démarche de Jozé Piranian, sous le regard à la fois tendre et ferme de la réalisatrice Josiane Blanc. Le film sera bientôt à l’affiche de CBC Gem.

Depuis le début de sa jeune carrière, celle-ci a démontré un oeil aiguisé pour saisir les enjeux d’une situation. Sans faire de nous des voyeurs, elle nous oblige en douceur à vivre notre inconfort devant la vulnérabilité des protagonistes. À témoin, son court métrage Contes d’une grossophobie ordinaire qu’on peut visionner sur le site de l’ONF.

«Pour les deux films, mon objectif était d’exposer la réalité et les défis de mes protagonistes au quotidien en plongeant dans leur monde de manière immersive», confie la réalisatrice à l-express.ca. «Je crois beaucoup que le film documentaire peut contribuer à ce que les gens aient plus d’empathie.»

On retrace facilement sur Internet les jalons de la montée de Jozé Piranian depuis 2017. Le fait d’avoir passé plus de 20 ans à éviter de parler m’a motivé à vouloir vivre le reste de ma vie en faisant l’exact opposé», résume-t-il. Et la seule façon pour lui d’y arriver était de faire ce qu’il craignait le plus, c’est-à-dire parler, humour aidant.

L’humoriste prévient d’ailleurs son public au début de chaque prestation: «J’espère que vous aimez le ss… (respiration)… suspense!»

Le bégaiement au Canada et ailleurs

On estime qu’il y a 410 000 bègues au Canada, soit 1% de la population. C’est une statistique qui tient la barre un peu partout dans le monde. Le bégaiement est de trois à quatre fois plus fréquent chez les hommes.

En 1991, des groupes d’entraide à travers le pays ont décidé de former l’unilingue Canadian Stuttering Association (CSA), pour qui Jozé Piranian a d’ailleurs été conférencier. Le Québec a son propre organisme francophone, l’Association bégaiement communication, fondée en 1985.

La démarche du motivateur s’inscrit dans un mouvement grandissant pour changer le point de vue de la société envers les bègues, dans le but de générer une plus grande inclusion.

En 2022, Stamma, l’organisation nationale du Royaume-Uni pour les personnes qui bégaient et leurs alliés, a même créé un drapeau de la Fierté du bégaiement!

La CSA fait maintenant la promotion des hashtags #stopthestigma et #includestutteringvoices. Elle vient de lancer une campagne visuelle fort originale (qu’on peut voir sur sa page Instagram) permettant aux gens de mieux comprendre les formes variées du bégaiement.

La campagne de sensibilisation affirme qu’elle a créé 410 000 noms de domaine, menant tous au site de l’association. Chaque URL illustre les diverses façons dont un bègue pourrait prononcer le mot «stutter».

L’Express en a testé deux: stu-uuuu-u—tier.stutter.ca et sssssst——-s—-s——s—-s.stutter.ca, menant effectivement au site web de l’association!

Une montée inattendue

L’histoire de Jozé Piranian en est une de persévérance, sous la lumière de l’introspection.

Quel est le moment charnière qui a déclenché un changement en lui? Il explique que cette question, qu’on lui pose souvent, repose sur une idée romantique que tout ce dont nous avons besoin pour nous transformer, c’est un déclic.

Jozé a éventuellement compris que la façon d’être en paix avec son bégaiement sévère serait de confronter sa peur au quotidien, un mot à la fois. «Pour moi, il s’agissait de millions de moments de courage.»

Par exemple, il s’est donné le défi chaque semaine de se rendre sur une place publique pour parler à une centaine d’inconnus. Quand il étudiait à l’Université McGill (en commerce et psychologie), il s’est imposé de joindre le club de débats. Puis il a joint un club de Toastmasters International afin de vaincre sa peur de parler en public, tout en poursuivant des exercices de respiration ciblée.

Il s’est ensuite lancé dans les Speaker Slams et remportait en 2017 le prix du meilleur orateur à la compétition du GRAND SLAM of Inspirational Speaking, l’aboutissement de huit Speaker Slams où s’affrontaient les meilleurs orateurs de l’année. Ont suivi plusieurs TEDx Talks et de nombreux contrats corporatifs pour motiver les foules.

Chemin faisant, sa famille atterrée, réinstallée au Liban, découvre en même temps que le public l’ampleur de ses batailles intérieures et de toute la douleur qui vient avec le bégaiement.

Fort de tous ses succès, Jozé sentait qu’il avait désormais le contrôle sur le chaos que son bégaiement avait créé dans sa vie. Puis la pandémie est arrivée…

La métaphore du bégaiement

Au début 2020, la covid a pulvérisé l’illusion de la croissance continue. Ses angoisses sont revenues aussi rapidement que ses contrats d’orateur public s’envolaient.

Le motivateur a alors constaté que la peur ne disparait jamais et qu’elle ferait toujours parti de sa vie. Il a aussi réalisé que c’était là que résidaient les leçons de vie s’appliquant à tous. «Chaque jour requiert un petit moment de bravoure, même quand je le souhaite le moins. J’ai appris que je devais vaincre mes peurs chaque jour. Elles ne s’arrêtent pas. Et moi non plus!»

Jozé s’est depuis donné pour mission de changer la relation des gens avec la peur et l’inconfort. Et il a trouvé les mots pour ce faire, en s’appuyant sur la métaphore du bégaiement.

«Toutes les fois que la peur vous retient d’aller vers quelqu’un, voilà votre bégaiement intérieur. Si mon bégaiement est visible, le vôtre ne l’est pas. Vous voulez prendre la parole dans un groupe mais vous restez silencieux? Vous avez une idée géniale, mais que vous bloquez sur l’exécution? Vous trouvez quelqu’un d’intéressant mais que vous ne lui dites même pas bonjour? Voilà votre bégaiement.»

«Chaque fois que nous succombons à notre bégaiement, nous nous privons d’innombrables possibilités. La peur et l’action peuvent coexister.»

Jozé Piranian, s’adressant à la foule, malgré un bégaiement sévère, est la preuve qu’en acceptant nos différences, et en affrontant nos peurs au quotidien, en micro-doses, on peut commencer à vivre pleinement.

Et si on prenait le temps?

Il y a tout un monde intérieur et beaucoup de vulnérabilité entre deux syllables. C’est ce qui rend les échanges inconfortables pour les deux interlocuteurs. La personne qui bégaie ressent l’impatience des autres.

Mais qu’avons-nous à être si pressés? Sur son site, la CSA affirme que la personne qui bégaie sait que vous l’attendez, elle aura plus de fluidité dans son débit. La réelle empathie réside dans l’espace qu’on se laisse pour écouter ou être entendu, surtout si ça nous fait un peu peur nous rappellerait Jozé Piranian.