La quête meurtrière du Passage du Nord-Ouest

Dans le rétroviseur

Passage du Nord-Ouest
Le détroit d’Arán dans le Grand Nord, tel qu’imaginé par certains cartographes au 17e siècle. Photo: Carte de Guillaume Sanson, 1687, Wikimedia Commons, domaine public.
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Publié 19/03/2023 par Marc Poirier

Pendant des centaines d’années, explorateurs et aventuriers ont cherché le moyen de contourner le continent américain par le Nord afin d’atteindre la Chine et les Indes et leurs trésors d’épices et de denrées convoitées. Plusieurs ont laissé leur vie dans ce «Passage du Nord-Ouest», d’autres y ont trouvé la gloire.

Avouons-le: il fallait faire preuve de témérité et être un peu fou pour explorer des eaux glacées, à des températures horriblement basses dans un dédale d’îles inconnues pour trouver une voie depuis l’Atlantique vers le Pacifique et les Indes orientales, but ultime de cette quête.

peinture
«Le Passage du Nord-Ouest»: peinture de John Everett Millais montrant un vieux marin désabusé et sa fille lisant un journal de bord. L’œuvre représente la frustration britannique après plusieurs échecs pour trouver cette voie maritime. Photo: Wikimedia Commons, domaine public.

Premières escapades européennes

Cinq cents ans avant les voyages de Christophe Colomb, les Vikings se sont aventurés dans les eaux marquant le début du Passage du Nord-Ouest. Les archéologues ont trouvé des traces de leur séjour sur l’île de Baffin et l’île d’Ellesmere, où les vestiges d’un navire viking échoué ont été découverts.

Pour l’époque, atteindre Ellesmere était tout un exploit. Il s’agit de l’île la plus au nord du Canada. Sa pointe nord-est n’est qu’à 26 kilomètres du nord-ouest du Groenland.

Mais délaissons le Nord quelque peu et parlons du Sud, car il y a un lien assez direct entre les expéditions européennes en Amérique du Sud — et centrale — et les explorations dans les eaux arctiques.

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Comme on le sait, lorsque Christophe Colomb débarque sur une île des Bahamas le 12 octobre 1792, il pense avoir atteint les Indes. Quelques années plus tard, d’autres explorateurs et Colomb lui-même se rendront compte qu’ils ont atteint un tout autre continent.

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Le planisphère de Cantino est considéré comme étant la plus ancienne et l’une des plus importantes cartes de «l’âge des découvertes». D’un auteur inconnu, elle date du début du XVIe siècle. Photo: Wikimedia Commons, domaine public.

Le mythe du détroit d’Anián

Mais il a fallu encore quelques années pour déterminer si l’Amérique du Nord et du Sud formait un seul continent ou si un détroit les séparait. Vient alors le mythe du détroit d’Anián.

Des explorateurs et des cartographes ont imaginé (le mot est faible) qu’un long (très très long) détroit servait de trait d’union entre les océans Atlantique et Pacifique à travers l’Amérique du Nord. L’une des hypothèses voulait que le détroit d’Anián relie le golfe de Californie et celui du Saint-Laurent.

Imaginons un instant quelle aurait pu être la devise du pays traversé par ce détroit au long cours: «D’un golfe à l’autre»! Mais on s’égare.

Ce mythe perdurera quand même tout au long du XVIIIe siècle et motivera la quête d’un lien maritime entre les deux océans.

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Jean Cabot et les autres

L’explorateur Jean Cabot — Giovanni Caboto de son vrai nom — avait bien avant imaginé qu’il était possible d’atteindre la Chine en passant au nord du continent américain.

En 1497, il gagne les côtes de l’île de Terre-Neuve et du Labrador. Certains pensent que cette terre est la Chine. Mais le Passage du Nord-Ouest échappe à Cabot. Il remet ça l’année suivante; hélas, sa flotte disparaît en mer.

On est un peu dans la brume aussi pour ce qui est des voyages de son fils, Sébastien Cabot.

Suivant les traces (maritimes) et le rêve d’un Passage du Nord-Ouest, de son père, Cabot fils aurait navigué le long du Labrador, traversé le détroit d’Hudson et même atteint la baie d’Hudson avant de rebrousser chemin.

Les explorateurs français Jacques Cartier et Samuel de Champlain croiront pouvoir trouver ce passage plus au Sud en explorant le fleuve Saint-Laurent. Là encore, un rêve inassouvi.

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Entre-temps, la Grande-Bretagne avait repris le flambeau de l’exploration des eaux arctiques.

En 1576, Martin Frobisher se rend jusqu’à la Terre de Baffin (plus grande île du Canada, partie du Nunavut) et pénètre dans ce qu’il croit être un détroit, mais qui s’avérera être une baie, qui porte aujourd’hui son nom.

Peu après, son compatriote John Davis se butera lui aussi, par trois fois, à la Terre de Baffin.

Passage du Nord-Ouest
Jean Cabot, peint ici en vêtements vénitiens traditionnels. Photo: Giustino Menescardi, 1762, Wikimedia Commons, domaine public.

Mutinerie contre Henry Hudson

Au début du XVIIe siècle, l’explorateur anglais Henry Hudson pousse le rêve un peu plus loin. Il atteint la grande baie à laquelle il donnera son nom. Mais, victime d’une mutinerie, il est abandonné dans un canot avec son fils et sept membres d’équipage.

Il sera établi plus tard qu’il s’avère impossible d’atteindre le Pacifique en empruntant le détroit et le nord de la baie d’Hudson.

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Trois survivants de cette expédition participeront à d’autres tentatives qui, même si elles n’aboutissent pas, orienteront les explorateurs suivants vers la bonne route, soit au nord de la Terre de Baffin.

Près de deux siècles s’écouleront avant que d’autres ne se lancent dans cette aventure.

En 1845 et 1846, John Franklin et ses 133 marins à bord de deux navires vont plus loin que tous leurs prédécesseurs. Ils contournent la Terre de Baffin, piquent vers le sud, mais restent emprisonnés dans les glaces près de l’île du Roi-Guillaume. Personne ne survivra.

L’aboutissement de siècles d’efforts

Finalement, en 1854, Robert McLure est le premier à franchir le passage d’ouest en est sur mer, mais aussi en partie sur la glace.

Malgré tous ces efforts, toutes ces pertes de vie lors d’expéditions britanniques, ce sera un Norvégien, le célèbre explorateur Roald Amundsen (qui sera d’ailleurs le premier, cinq ans plus tard, à atteindre le pôle Sud), qui parviendra à franchir complètement le Passage du Nord-Ouest par la mer, et cette fois de l’Ouest vers l’est 1450 kilomètres.

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L’une des raisons de son succès: sa goélette. La Gjøa était un petit navire, ce qui fait qu’elle a réussi à naviguer dans des eaux peu profondes.

Passage du Nord-Ouest
C’est sur cette petite goélette, la Gjøa, qu’Amundsen et ses hommes ont réussi à franchir le Passage du Nord-Ouest. Photo: Wikimedia Commons, domaine public.

Comme les nombreuses autres expéditions qui l’ont précédée, celle d’Amundsen a été atroce. L’équipage a failli y laisser sa peau à plusieurs reprises.

Arrivé en eau libre, Amundsen écrira d’ailleurs dans son journal: «Le passage du Nord-Ouest est ouvert. Mon rêve d’enfance vient de se réaliser à ce moment. Une étrange sensation me prend à la gorge. Je suis surmené et à bout — c’est une faiblesse —, mais je sens les larmes me monter aux yeux.»

Passage du Nord-Ouest
L’équipage de la Gjøa au lendemain de son arrivée à Nome, en Alaska. Amundsen se trouve devant, à gauche. Photo: Frank N. Powel, Wikimedia Commons, domaine public.

De nos jours, le Passage du Nord-Ouest est de plus en plus facilement navigable, résultat des changements climatiques. Il ouvre la voie à une course à l’exploitation controversée des richesses naturelles de l’Arctique et il ravive les questions de souveraineté de ces eaux.

Le rêve pourrait encore se transformer en cauchemar.

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