En 1999, Marie-Paule Villeneuve nous avait offert un remarquable roman intitulé L’enfant cigarier. Elle récidive maintenant avec Les demoiselles aux allumettes, écrit avec autant d’aplomb et de brio. L’action du roman se situe au début du XXe siècle et se déroule tour à tour à Hull (Québec) et à Lowell (Massachusetts). Il s’agit à la fois d’une fresque historique et d’une intrigue romanesque.
Dès le premier chapitre, Marie-Paule Villeneuve nous plonge dans la société canadienne-française de 1914, dans un milieu soumis à l’emprise de l’Église catholique. Les pères oblats dirigent une paroisse à Hull et ils ont fondé le quotidien Le Droit à Ottawa. Ils appuient l’action syndicale dans la mesure où elle est catholique et française. Un des personnages (qui était le protagoniste de L’enfant cigarier) est convaincu que «les unions, c’est pas une question de langues, c’est une question de droits des travailleurs. La misère n’a pas de langue.» Sauf que les Canadiens-français de Hull sont plus dans la misère que les Canadiens anglais d’Ottawa!
Par la voix du curé de la paroisse oblate de Hull, l’Église clame que la place de la femme est au foyer, pas dans les usines. «La Providence lui a assigné une sphère qui se limite d’abord à la famille, puis aux œuvres sociales et de tempérance.» Une jeune femme, Victoria, n’est pas de cet avis. Elle est une misérable fille de 18 ans, «sans argent, sans bijoux et sans amoureux et c’est ce qui la désole le plus». Victoria devient une «demoiselle aux allumettes» en travaillant à la compagnie Eddy Match, mais son emploi est de courte durée. Elle décide alors de rejoindre les centaines de milliers de Canadiens-français qui trouvent du travail dans les filatures de la Nouvelle-Angleterre.
Les dialogues imaginés par la romancière reflètent bien l’influence que la langue anglaise exerce auprès des ouvrières et ouvriers canadiens-français. Ils utilisent des verbes comme «slacker, loafer, stooler, truster, toffer» et des mots comme «overseers, loom fixer, spinning room».
Pour parler d’un patron, l’auteure écrit qu’«il voudrait nous casser, nous runner comme ses esclaves». Marie-Paule Villeneuve note qu’un journaliste du Droit «refusait d’utiliser des expressions anglaises ou des anglicismes comme le faisaient la plupart des gens de Hull qui baragouinaient une langue à cheval entre le français et l’anglais».