Le Maurice Richard du XIXe siècle

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Publié 12/02/2008 par Paul-François Sylvestre

Il fut un temps où le nom de Jos Montferrand revenait dans toutes les conversations des Canayens soumis à une autorité extérieure, politique ou religieuse. Aux yeux des gens nés pour un petit pain, l’étonnante force physique du géant Montferrand personnifiait les valeurs de son temps. Il était un héros tout désigné. C’était dans la première moitié du XIXe siècle.

Au fil des ans, les exploits de Jos Montferrand sont tombés dans l’oubli. Gilles Vigneault l’a fait renaître, brièvement, dans une chanson avec ces paroles: «Le cul su’l’bord du cap Diamant, les pieds dans l’eau du Saint-Laurent / J’ai jasé un p.tit bout d’temps avec le grand Jos Montferrand…» Qui était ce légendaire Canayen? La réponse nous est donnée par Mathieu-Robert Sauvé dans un récit biographique intitulé Jos Montferrand: le géant des rivières et publié dans la collection «Les Grandes Figures» chez XYZ éditeur.

Récit biographique à lire en deux temps. La première partie, de loin la plus longue, regorge de scènes fictives proches de la réalité. La seconde partie (dernier chapitre) met les pendules à l’heure, puis présente une chronologie détaillée de la vie de Jos Montferrand (1802-1864).

Bûcheron, draveur, pagayeur, Jos Montferrand affiche une taille imposante pour son époque. Il est une masse de muscles et un batailleur d’une force et d’une résistance incroyables. Il se rend souvent en Outaouais (Bytown/Ottawa et Wrightsville/Hull/Gatineau). C’est là que commence le récit avec un chapitre intitulé «Seul contre cent cinquante». Jos doit affronter des Irlandais sur le pont qui enjambe la rivière des Outaouais. Il fait face à une meute de Shiners (déformation du mot «chaîneur», métier surtout pratiqué par les Irlandais). Voici comment l’auteur décrit une des nombreuses prouesses de Jos Montferrand.

«Alors [qu’un Shiner] s’apprête à lui assener un nouveau coup, Jos plonge à ses chevilles et les empoigne avec énergie. Cela lui évite la charge des deux costauds qui reprenaient leurs esprits. En un souffle, il est sur ses pieds et tient l’implorant, tête en bas. Enragé, il le fait tourner autour de lui et, avec cette massue humaine, frappe violemment le nouvel arrivage. Hurlant comme un animal, Jos parvient à avancer au milieu du désordre et à se frayer un chemin entre ses assaillants.»

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Deux chapitres plus loin, le grand Jos étale de nouveau ses prouesses. «Il saisit le soldat par la taille et le soulève au-dessus de sa tête avant de le lancer dans l’âtre. Le feu a tôt fait de lui lécher la culotte, mais il est retiré prestement par les siens de sa fâcheuse position.»

Une grande partie du récit porte sur l’expédition que dirige Montferrand en 1832, depuis Montréal jusqu’à Fort William (Thunder Bay). Il y conduit un couple britannique et est accompagné, entre autres, d’un Beauceron et d’un Français amoureux d’une Canayenne. L’auteur leur accorde une place de choix dans son récit. Il invente même le personnage de Roxane, cousine de Jos, en s’inspirant de Cyrano, d’Edmond Rostand qu’il paraphrase à certains endroits clés du récit.

Cette Roxane est la seule qui peut faire chavirer le Géant des rivières. Devant sa cousine, Montferrand sent la peur pour la première fois de sa vie. «Amenez-en des Shiners enragés, il n’en fera qu’une bouchée. S’il est en canot et que les vagues menacent, il ne craint pas la colère des dieux. Mais quand Roxane le regarde, il croit mourir.» Amour secret qui nous tient en haleine jusqu’à la fin du récit.

À une époque où le pouvoir s’acquiert par la force, les hommes forts ont un prestige considérable. Or, Jos Montferrand affiche une taille imposante pour son époque et sait toujours sortir indemne de situations difficiles. Il est en quelque sorte le Maurice Richard de son siècle. Une légende.

En 1899 l’historien Benjamin Sulte a presque fait de Montferrand une Jeanne d’Arc en sol québécois. Il l’a peint comme un homme ayant une grande confiance en Dieu, une profonde vénération pour la Sainte Vierge, quelqu’un qui «sait d’instinct qu’il ne devra utiliser sa force que pour redresser les torts et punir les méchants». L’auteur ne partage pas cette vision et nous présente un Géant des rivières qui est loin d’être un enfant de chœur. «Il courait les jupons, buvait du rhum et aimait se battre.»

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Mathieu-Robert Sauvé note que la renommée de Montferrand franchit allègrement les frontières. Pour le Journal of American Folklore, Joe Muffraw (ou Montferrat, Murfraw, Mufferon) est «synonyme de terreur nordique». Le Canada n’a pas hésité, en 1992, à émettre un timbre à l’effigie du «Bûcheron légendaire/Legendary Lumberjack».

Fort, mais droit et intègre, Jos Montferrand s’est toujours attiré le respect et l’admiration de ses compatriotes. Il est mort à 62 ans, victime d’un madrier qui lui serait tombé sur la tête du haut d’un échafaudage… Drôle de fin pour un être aussi légendaire.

Mathieu-Robert Sauvé, Jos Montferrand: Le géant des rivières, récit biographique, Montréal, XYZ éditeur, coll. «Les grandes figures», 2007, 192 pages, 18$.

Auteur

  • Paul-François Sylvestre

    Chroniqueur livres, histoire, arts, culture, voyages, actualité. Auteur d'une trentaine de romans et d’essais souvent en lien avec l’histoire de l’Ontario français. Son site jaipourmonlire.ca offre régulièrement des comptes rendus de livres de langue française.

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