Le racisme, ce n’est pas que l’affaire des États-Unis

Le premier ministre Justin Trudeau a rejoint des milliers de manifestants à Ottawa lors d’une manifestation antiracisme, le vendredi 5 juin 2020. Photo: Raphaëlle Ritchot
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Publié 06/06/2020 par Marc Poirier

Le premier ministre Justin Trudeau a posé le genou au sol lors d’une manifestation contre le racisme au centre-ville d’Ottawa vendredi. Le débat sur le racisme «systémique» est relancé depuis une semaine au pays dans la foulée des évènements qui ont lieu aux États-Unis.

Le 1er juin, en réponse aux manifestations aux États-Unis en réaction à la mort de George Floyd au coursd’une arrestation musclée à Minneapolis, le premier ministre avait senti le besoin de donner l’heure juste lors du point de presse quotidien sur la situation de la CoViD-19 .

«Pour beaucoup trop de Canadiens, ce qui se passe de l’autre côté de la frontière en ce moment, ce sont des scènes familières. Le racisme envers les Noirs, la discrimination systémique, l’injustice – ça existe aussi chez nous. […] Le statu quo où les jeunes font face à la violence à cause de la couleur de leur peau est inacceptable. Aucun parent ne devrait avoir à expliquer à nouveau à leurs enfants qu’eux ou leurs amis pourraient subir le racisme.»

Les paroles de Justin Trudeau, applaudies par certains, ont soulevé des élans de critiques faisant valoir que le racisme existait bel et bien au pays et qu’il est imprégné dans les gouvernements, les institutions et autres instances publiques.

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Le terme racisme «systémique» – différent de «systématique» – fait donc l’objet d’un certain débat. Mais au-delà des mots, la réalité du racisme au Canada ne fait pas de doute.

Le racisme s’exprime de plusieurs façons

Le racisme peut prendre toutes sortes de formes comme par exemple se faire demander «d’où tu viens?»

Une question que s’est souvent fait poser Renise Robichaud, 23 ans, de la Péninsule acadienne. Elle répond simplement «d’icitte». Adoptée à l’âge de 3 ans par un couple acadien du Nouveau-Brunswick, elle a senti le besoin, à la suite des évènements aux États-Unis, de partager certaines expériences personnelles et réflexions sur sa page Facebook.

Tim Stanley

«Je suis au Canada depuis l’âge de trois ans et pourtant je ne suis toujours pas « canadienne » aux yeux de bien des gens. Je suis une jeune femme noire et plus j’avance dans la vie, plus j’ai peur de ce qui m’attend. Mes parents ne seront pas toujours là pour me défendre et me permettre d’avancer, je devrai le faire seul.»

Ce genre de questions sur l’origine d’une personne peuvent sembler anodines, explique le professeur Timothy J. Stanley, de la faculté d’éducation et rattaché à l’Institut de recherche et d’études autochtones à l’Université d’Ottawa, mais elles cachent souvent une attitude malsaine.

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«Je pense que la base de tout ça, c’est si on voit quelqu’un qu’on considère comme une personne « blanche » ou d’origine européenne, on considère que c’est quelqu’un qui est naturellement « à sa place » ici, qui appartient à l’endroit. Par contre, si on voit une personne de couleur – même parfois un Autochtone – notre réaction est que ce sont des étrangers qui ne sont pas d’ici. Leur présence est peut-être justifiable, mais c’est toujours conditionnel. Et souvent la réaction, c’est que ces personnes ne sont pas du tout d’ici.»

Fusillades

Le comportement de membres des forces policières est souvent montré du doigt à l’égard des Noirs.

La Commission ontarienne des droits de la personne a mené une étude sur le profilage racial et la discrimination raciale au sein des forces policières de Toronto. Un rapport intérimaire, publié en 2018, indiquait qu’une personne noire courait 20 fois plus de risques d’être impliquée dans une fusillade mortelle aux mains de la police.

Les Noirs, qui ne représentent qu’environ 9% de la population de la ville, font l’objet de près de 30% des recours à la force et plus de 61% des interactions mortelles.

Évidemment, le racisme et la discrimination raciale ne se limitent pas aux Noirs.

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Écarts de revenus

Les inégalités économiques font aussi parties des unités de mesure du racisme. Un rapport du Centre canadien des politiques alternatives (CCPA) publié en décembre 2019 et intitulé Écarts de revenus au Canada: une inégalité économique racialisée, concluait que les hommes racialisés gagnent 20% de moins que les hommes non racialisés. Chez les femmes racialisées, la différence est de 40%. Pour les Noirs, tant chez les hommes que chez les femmes, ces écarts sont encore plus prononcés.

Ricardo Tranjan

L’étude révélait aussi que, malgré le fait que les travailleurs racialisés étaient plus nombreux en proportion sur le marché du travail, leur taux de chômage était de deux points plus élevés que les autres. Le pire, c’est que cette situation est pratiquement restée inchangée comparativement à ce qu’elle était 10 ans auparavant.

L’un des auteurs du rapport, Ricardo Tranjan, souligne que la conclusion principale de l’étude porte vers un appel à l’action. «Au niveau du gouvernement et au niveau de la société, on doit faire face à cet enjeu de façon plus directe et plus active. On ne peut pas s’attendre que ça va s’améliorer tout seul.»

Profilage dans les commerces, les restaurants

La discrimination et le racisme se font aussi sentir lors des activités quotidiennes toutes simples comme aller au magasin. Entrer dans un commerce, se faire suivre par un employé, presque pas à pas, ou encore se faire faussement accuser de vol à l’étalage, voilà les comportements que doivent trop souvent subir les personnes racialisées.

Ce genre d’histoires, l’experte en profilage raciale et consultante Tomee Elizabeth Sojourner-Campell les entend constamment. «Ce sont le genre de choses qui arrivent tous les jours, dit-elle. Pour ceux qui ne sont pas confrontés à cette réalité, c’est parfois difficile à croire.»

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Tomee Elizabeth Sojourner-Campbell

Plusieurs incidents du genre ont été rapportés ces dernières années :

• dans un magasin, un client noir se fait demander son reçu en sortant d’un établissement;

• dans un restaurant de Toronto, il y a deux ans, deux personnes noires se sont fait demander de payer leur repas avant d’être servies, ce qui n’était pas demandé aux autres clients;

• une femme noire en Nouvelle-Écosse s’est fait faussement accuser de vol à l’étalage et a été bannie du commerce, même après qu’on ait déterminé qu’elle était innocente.

Autochtones

Tomee Elizabeth Sojourner-Campbell souhaite que ces incidents soient davantage pris au sérieux. «Si on ne le fait pas, des gens seront bannis de certains commerces injustement et ce magasin est peut-être le seul de leur communauté. Ça peut vouloir dire ne pas pouvoir acheter de médicaments, de nourriture pour sa famille. Les conséquences peuvent être très sérieuses et nous devons faire davantage parce que, souvent, nous ne réalisons pas l’impact envers les individus, les familles et la communauté.»

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Et à ceux qui croient que la situation au Canada n’a rien à voir avec celle des États-Unis, le professeur Timothy J. Stanley de l’Université d’Ottawa conclut avec un exemple qui porte à réfléchir: «un pourcentage plus important d’Autochtones est incarcéré au Canada que chez les Noirs aux États-Unis.»

Plusieurs manifestations ont été organisées au pays le vendredi 5 juin. Photo: Éricka Muzzo

Une définition

«On a défini le racisme systémique comme la production sociale d’inégalité raciale dans les décisions concernant les gens et dans le traitement qu’ils reçoivent», indique Shawn Richard, président de l’Association des avocats noirs du Canada, selon Agir contre le racisme systémique et la discrimination religieuse, y compris l’islamophobie, Rapport du Comité permanent du patrimoine canadien, février 2018.

«L’inégalité raciale n’est pas naturelle, pas plus qu’elle n’est inhérente à la nature humaine. Au contraire, elle résulte des aménagements économiques, culturels et politiques d’une société. Elle est le produit d’une combinaison de constructions sociales selon lesquelles les races sont réelles, différentes et inégales, qu’on appelle la racialisation.»

«Il y a les normes, les processus et les prestations de services d’un système social, aussi appelé structure, de même que les actes et les décisions des gens qui travaillent pour les systèmes sociaux, qu’on appelle le personnel.»

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