Un récit profondément humain et humaniste

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Publié 18/09/2007 par Paul-François Sylvestre

On entend souvent des gens dire qu’ils ont vécu un moment historique: les premiers pas de l’homme sur la lune, la mort de John Kennedy, la chute du mur de Berlin. Pour Monique Maury Léon, «si jamais les gens ont eu conscience de vivre l’Histoire, celle qu’on met dans les livres, c’est bien les gens de Sainte-Mère-Église, cette nuit du 5 au 6 juin 1944.» Cette nuit où les Américains ont chassé les soldats allemands d’un petit village normand.

Monique Maury a 19 ans en 1944 (vous pouvez calculer son âge aujourd’hui). Avant d’oublier ses souvenirs du débarquement américain, elle a décidé de les raconter à sa petite-fille Séverine dans un récit tout simplement intitulé Sainte-Mère-Église libérée. (Séverine est la petite-fille de Monique Maury et de Pierre Léon.) Présenté dans une édition bilingue, l’ouvrage est bien documenté et abondamment illustré; il est surtout profondément humain et humaniste.

Dès le début de son récit, Monique Maury Léon écrit que «le commerce, la politique, et à vrai dire, la vie quotidienne de tout un chacun dans la presqu’île de Cotentin, était totalement sous le contrôle de l’armée allemande.» Les soldats occupaient les maisons de leur choix. Pour se débarrasser de ses pensionnaires malvenus, madame Maury demanda à ses enfants de tousser le plus possible en leur présence. Craignant d’être en présence de tuberculeux, les soldats allemands n’ont plus jamais réquisitionné de chambres chez les Maury.

Le récit de Monique Maury Léon regorge de savoureuses anecdotes comme celle-là. L’auteure note, par exemple, qu’elle a suivi des cours d’anglais pendant sept ans mais qu’elle ne pouvait guère s’exprimer dans la langue de Shakespeare. La seule phrase qu’elle savait bafouiller était «ze gueurle iz ine ze classroume».

Plus tard, dans un lycée de Paris, l’institutrice d’anglais lui fera sentir que son accent est si terrible qu’elle ferait mieux «de retourner au cul de ses vaches». Cela n’a pas empêché Monique Maury et sa sœur Claudine de travailler comme interprètes dans l’armée américaine et de gagner de l’argent qui les aida à s’installer quelques mois plus tard dans leur vie étudiante.

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Une autre anecdote nous apprend que la famille Maury vit à Sainte-Mère-Église mais qu’elle ne semble pas fréquenter l’église. Le père Maury dit à ses enfants: «On ne va pas à l’église, vous devez donc prouver que vous êtes aussi bien que les autres et même mieux.» Les enfants auraient bien préféré aller à l’église.

L’anecdote la plus corsée révèle une facette moins connue de la libération américaine en signalant que certaines femmes de Sainte-Mère-Église contribuaient, à leur façon, à l’effort de guerre en offrant ce que les soldats américains souhaitaient: du calvados et du sexe. Il s’en suivait des grossesses mal venues et, parfois, des bébés afro-américains. L’auteure ajoute que, parmi les GI, il y avait des descendants de souche canadienne, dont le français parlé «ressemblait, à bien des égards, à celui qui était parlé chez nous, dans la région de Sainte-Mère».

Le récit de Monique Maury Léon recèle aussi des réflexions très justes et des données très précises. Elle écrit que, «dans la guerre il n’y a ni victimes ni honneurs. Il n’y a que honte et avilissement pour tout le monde et partout.» Elle précise qu’il y a eu 326 547 hommes et 54 184 véhicules dans et autour de Sainte-Mère-Église. Aujourd’hui, l’endroit compte deux cimetières, avec 2 195 morts dans l’un et 4 812 dans l’autre, sans compter les 5 701 morts enterrés à trois kilomètres de là.

L’auteure a côtoyé la mort et les morts, ce qui l’amène à affirmer qu’un mort n’est pas un objet mais plutôt un être digne de respect. Elle va jusqu’à affirmer: «On croirait même qu’on respecte plus ce qu’il y a d’humain dans un cadavre que dans une personne vivante.»

Tel que mentionné plus tôt, Sainte-Mère-Église libérée est abondamment illustré: photos, cartes, pages de revues militaires, lettres, etc. Je ne signale qu’une photo, celle du père de Monique Maury (affectueusement appelé Capa). On nous le montre jovial, souriant, affable et doux. L’auteure écrit pourtant que «personne n’avait le courage d’affronter Capa en colère, pas même un Allemand».

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C’est à peu près à l’époque de la libération de Sainte-Mère-Église que Monique Maury rencontre Pierre Léon, son futur époux. Elle conclut son récit en disant que Pierre Léon l’a beaucoup aidée à sortir d’une phase déchirante de sa vie et à la soutenir sans cesse depuis. «Sans lui, ce récit n’aurait jamais pris forme.» Merci, Pierre! Bravo, Monique!

Monique Maury Léon, Sainte-Mère-Église libérée: l’Histoire racontée à ma petite-fille, récit, Toronto, Éditions du Gref, coll. Lieux dits no 2, 2007, 224 pages.

Auteur

  • Paul-François Sylvestre

    Chroniqueur livres, histoire, arts, culture, voyages, actualité. Auteur d'une trentaine de romans et d’essais souvent en lien avec l’histoire de l’Ontario français. Son site jaipourmonlire.ca offre régulièrement des comptes rendus de livres de langue française.

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