Peut-on exister sans laisser de trace?

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Publié 30/06/2015 par Paul-François Sylvestre

Je vous ai parlé, en mars, du roman L’Inconnu du Grand Canal, qui met en scène le commissaire Guido Brunetti. Donna Leon le fait revenir dans Le garçon qui ne parlait pas. Nous sommes toujours à Venise, où les taxis sont des bateaux, où on boit du vin tous les jours et où une mort soi-disant accidentelle déclenche une enquête «brunettienne».

Le patron de Guido Brunetti lui confie une petite recherche, mais sa femme, Paola, lui présente une requête inusitée. Un «handicapé mental» employé par leur pressing vient de mourir d’une overdose de somnifères, et Paola ne peut pas supporter l’idée que dans la vie comme dans la mort, personne ne l’ait remarqué ni aidé.

Brunetti se met au travail mais, à sa grande surprise, il ne découvre rien sur cet homme. David Cavanella n’est inscrit sur aucun registre de naissance ou de baptême; il n’est allé à aucune école, n’a jamais reçu une carte d’identité ou de santé, n’a jamais fait une demande de permis de conduire. Bref, il n’existe pas.

David Cavanella est considéré comme sourd, muet et attardé. «Si ça avait été un meuble, c’était pareil.» Ce sont moins les circonstances de la mort de Cavanella qui préoccupent Brunetti que le fait qu’il ait pu vivre quarante ans sans jamais laisser la moindre trace. «Cela ne peut tout bonnement pas arriver.»

En réalité, Cavanella a laissé une trace dans le souvenir de ceux qui l’ont vu, et non connu. Une de ces personnes est Paola, qui le voyait à la boutique de nettoyage ou pressing. Elle «presse» son mari de faire quelque chose. Mais quoi? «On ne peut pas enterrer quelqu’un avant d’être sûr que ce soit bien lui ou elle.»

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Brunetti estime qu’on peut difficilement pénétrer dans l’esprit de quelqu’un sans utiliser des mots. Une vie humaine ne se définit-elle par les contacts avec les autres? «Si, pensait Brunetti, les gens ne vivaient que dans l’esprit des gens qui les connaissaient et se souvenaient d’eux, alors l’existence de David Cavanella était vraiment une existence misérable, vouée à prendre fin avec la mort de sa mère.»

Quelques mots italiens ne sont pas traduits, comme signore, signorina, dottore, commissario, avvocato, vigili et campo. Il en va de même pour certains mots français qui sont tels quels dans le texte anglais original: cordon sanitaire et amateurs, par exemple.

Donna Leon peut écrire tout un chapitre où rien ne fait avancer l’intrigue. Un de ces chapitres, le premier, ne décrit qu’une «paisible soirée chez les Brunetti, où le dîner se passait dans la plus douce des harmonies».

Pour étirer encore plus son histoire, l’auteure concocte une petite enquête sur des pots-de-vin que la future bru du maire aurait touchés. Cela n’a rien à voir avec «le garçon qui ne parlait pas»; c’est tout au plus une distraction ennuyeuse. Donna Leon fait néanmoins preuve de belles tournures, comme: «Les gens pauvres avaient des grands-parents; les riches avaient des ancêtres.»

Auteur

  • Paul-François Sylvestre

    Chroniqueur livres, histoire, arts, culture, voyages, actualité. Auteur d'une trentaine de romans et d’essais souvent en lien avec l’histoire de l’Ontario français. Son site jaipourmonlire.ca offre régulièrement des comptes rendus de livres de langue française.

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