Infirmière au Centre hospitalier de l’Université de Montréal, Élise a décidé de temporairement quitter son poste pour partir outre-mer avec Médecins Sans Frontières (MSF). On lui propose une mission à Peshawar, au nord du Pakistan, à l’extrémité orientale de la fameuse Khyber Pass entre l’Afghanistan et le Pakistan. Mais le vent a tourné, l’infirmière est finalement partie au Burundi; une œuvre de six mois visant à secourir les victimes de la grande instabilité politique sévissant dans le pays. L’équipe MSF dont elle faisait partie, œuvrait de concert avec le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) et le personnel burundais embauché localement.
20 juin 1996, l’avion descend vers Montréal. Élise, triste et épuisée, rentre au bercail. 16 jours après que deux véhicules du CICR qui rentraient à Bujumbura aient été la cible de tirs près du village de Mugina, dans le nord de la province de Cibitoke; trois membres du CICR ont été tués. Suite aux menaces explicites contre la vie de ses délégués, le CICR a pris la décision de retirer tous ses collaborateurs expatriés du Burundi.
Un labeur sans relâche sous des conditions périlleuses par temps très chaud et humide, particulièrement suite aux terribles affrontements qui ont touché le sud du pays en avril et affecté des milliers de civils, se souvient Élise. Elle se rappelle aussi la panne d’eau en janvier suite à un sabotage du réseau électrique. Le CICR a installé des réservoirs d’eau à la prison centrale, sur le campus universitaire et dans deux écoles de Mutanga; leurs camions-citernes ont approvisionné en eau tous les hôpitaux de Bujumbura et certains quartiers. L’action d’urgence s’est poursuivie en collaboration avec certaines organisations non gouvernementales (ONG) dont MSF.
La plupart des expatriés quittent au bout de quelques mois et sont remplacés à tour de rôle. Tandis que les employés locaux restent; ils n’ont pas d’autre choix que de se blinder contre l’injustice. L’infirmière québécoise a bien connu le personnel burundais au service de l’équipe MSF. Ange, la cuisinière, mère seule avec cinq enfants, courant au marché tous les jours pour faire les achats à temps afin de préparer les trois repas quotidiens destinés aux expats. Rosine, la ménagère de la maison MSF, orpheline chargée de prendre soin de sa grand-mère et ses deux frères cadets.
Fabrice, le jeune chauffeur, toujours disponible pour conduire les humanitaires partout jour et nuit sauf les soirs de couvre-feu. Frédéric, le logisticien qui connait bien le milieu; il est la première source fiable d’information concernant la sécurité sur le terrain. Delphin, l’infirmier homologue d’Élise; ils ont travaillé côte à côte auprès de centaines de patients. Les gardiens de la maison, Blaise et Victor, fidèles surveillants à l’entrée du logis MSF encerclé d’un haut mur de protection.
C’était un soir de couvre-feu, fin avril. Fabrice ne pouvait pas retourner chez lui. Élise l’a rejoint dans le véhicule MSF pour discuter. Sur la banquette arrière ils ont passé presque toute la nuit ensemble. Le destin a fait son œuvre. En mission d’urgence, les gens se métamorphosent pour s’adapter à des événements extraordinaires. On ressent des émotions inconnues, différentes de celles que l’on vit dans le confort quotidien de son chez soi. On voit les autres d’une autre façon. On aime une personne momentanément, qui, dans d’autres circonstances, ne nous aurait jamais attirée.