Il a passé son doctorat alors qu’il était sans domicile

Bienvenue à la chronique «Des gens du coin», un projet de recueil d'histoires de personnes qui sont marginalisées (ou l'ont été) à Toronto.
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Publié 23/08/2018 par Stan Leveau-Vallier

Jérôme a écrit sa thèse de doctorat alors qu’il était sans domicile.

Le regard franc, le sourire aux lèvres, la voix posée, il utilise des mots soigneusement choisis. Un intellectuel, propre dans sa chemise bien repassée. Rien n’indique ce par quoi il est passé.

Venu d’Afrique pour ses études, il s’était bien installé au Canada. Il avait trouvé un travail, et s’était marié. Quand des désaccords avec sa hiérarchie l’ont conduit à quitter son travail, il a repris des études, et commencé une thèse.

Séparation

Mais les relations avec sa femme se sont tendues. Quand ils se sont séparés, comme c’était elle qui possédait la maison, il s’est retrouvé à la rue.

Sans logement, il a pris un petit boulot dans une usine, de nuit, très loin, à Mississauga, mal payé et qui lui coûtait des fortunes en transports en commun.

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Après le travail, il passait ses journées à la bibliothèque municipale et au café, à écrire sa thèse tout en faisant quelques siestes.

Fatigue

Ses directeurs de thèse ne connaissaient pas sa situation. Quand ils ont rejeté sa première présentation, cela a été une déception terrible. Avec son état de fatigue à l’époque, il écrivait d‘une tout autre manière que ce qu’il ferait aujourd’hui.

C’était un rythme extrêmement éprouvant, des années de cauchemar, il était écrasé.

Mais au creux de cette période bien sombre de sa vie, il a tenu bon.

La thèse l’a aidé, car elle lui donnait une occupation et un but. La musique aussi, car il écoutait des chansons de son enfance, qui lui rappelaient des souvenirs heureux et lui donnaient du courage. Enfin sa foi et la prière quotidienne.

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Rejet

Jérôme n’a jamais mendié. Un jour qu’il s’est présenté à un bureau distribuant l’assistance sociale, on ne l’a pas cru, on l’a trouvé trop propre. C’est qu’il se douchait au travail, et en profitait pour laver et laisser sécher ses habits.

Jérôme n’a jamais touché à la drogue. Il considère que ceux qui se laissent aller davantage ont perdu leurs repères. Cela n’est pas forcément leur faute, c’est un problème d’éducation, et sans doute de blessures trop profondes.

Jérôme a tout de même expérimenté le manque de respect. Entre le fait qu’il vienne d’Afrique et que certains des Afro-Américains tiennent les Africains pour responsable de l’esclavage, le fait qu’il soit francophone et parfois mal considéré par les non-francophones, et le fait qu’il soit un intellectuel aux préoccupations parfois incomprises des autres, il lui est arrivé de se sentir rejeté.

Sourire retrouvé

Jérôme n’a gardé aucune aigreur, aucune rancune, de la période infernale qui s’est terminée avec l’obtention de son doctorat.

Aujourd’hui, il a un logement sommaire et un emploi plus décent. Il continue ses études et ses recherches. Il travaille à un projet de livre, et donne des cours. Une vie simple, qui lui correspond. Il a le large sourire de quelqu’un qui a retrouvé sa place.

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Des gens du coin / Our Neighbours est un projet de recueil d’histoires de personnes qui sont marginalisées (ou l’ont été) à Toronto. Avec Constructive Productions.

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