Durant la fin des années 40 et le début des années 50, le pianiste américain Thelonious Sphere Monk était carrément «dans la zone», comme on dit de nos jours, contribuant à la révolution bebop une poignée de thèmes – Ruby My Dear, Mysterioso, Crepuscule With Nellie et l’incontournable Round Midnight – qui figurent encore au répertoire de l’idiome.
Puis, au fur et à mesure que lui vint la reconnaissance internationale (rappelons qu’il fut un des seuls jazzmen à se retrouver sur la couverture de Time, en 1964), la source se tarit, et Monk se contenta de revisiter mille fois ses vieux thèmes, se repliant peu à peu dans un mutisme quasi catatonique jusqu’à ce qu’il nous quitte définitivement en 1982.
Depuis, ils sont des tas à jouer du Monk, et certains s’amusent même à jouer à la Monk (avec la maladresse feinte et le plaisir enfantin de celui qui donne l’impression de découvrir le piano), mais peu de jazzmen, pianistes ou autres, ont axé une réflexion approfondie sur celui qu’on appelait le Grand Prêtre du Bop.
Avec Sphere Reflexion, le compositeur et contrebassiste québécois Alain Bédard semble vouloir prolonger la vision – et l’œuvre – de Monk par le biais de sa propre écriture, d’autant que le premier morceau de l’album, Tara Bisotti, suit parfaitement la forme et l’esprit de cette musique faite de «syncopes et de mouvements», comme l’exprime joliment le livret du disque.
Toutefois, la réflexion de Bédard ne se limite pas à imaginer ce que Monk aurait composé si sa muse ne l’avait pas quitté. Ici, la sphère du titre représente aussi notre planète, et l’album pose une série de regards sur l’état du monde qui nous entoure, autant qu’il soit possible de le faire par le biais d’une musique instrumentale et largement improvisée. Chez Bédard, cela se traduit par une alternance de bonheur et de blues, d’inquiétude et d’émerveillement.