Roman épistolaire sur les états du désespoir amoureux

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Publié 14/11/2006 par Paul-François Sylvestre

Chaque fois que je vais à Québec, je m’arrête à la Librairie Pantoute, rue Saint-Jean. Le libraire Éric Simard est un homme très accueillant. Il est aussi un écrivain qui a publié un roman épistolaire intitulé Cher Émile. Les lettres qui composent ce roman sont signées par Éric ou É. S’agit-il d’un roman autobiographique? Son contenu très intense et finement psychologique, voire émotif, pourrait le laisser croire. Mais la couverture indique bien que Cher Émile est un roman.

Éric écrit à Émile. Il lui parle de leur relation, de leur rupture, de ses aventures avec P.J. et René. Il lui décrit surtout ses états d’âme. Cet examen de conscience permet à Éric de voir clair, un tant soit peu, dans sa vie d’homme gai.

Éric se met à nu dans ces lettres empreintes de sincérité, de franchise, d’introspection. Au début, le lecteur a l’impression qu’Éric vit une peine d’amour et qu’il file un mauvais coton: «J’ai peur de ne pas réussir le reste de ma vie. Je ne sais plus ce que je veux ni où je vais. Je ne sais plus qui je suis. (…) J’ai peur d’arriver nulle part. Quand j’envisage l’avenir, c’est comme si je m’en allais foncer à pleine vitesse dans un mur.»

Au fur et à mesure que les missives défilent, le lecteur quitte le cœur d’Éric pour entrer dans sa tête. Il découvre que sa rupture avec Émile n’avait rien à voir avec le jeune homme. Éric s’en est servi pour fuir ses responsabilités. Dès la première occasion, il s’est «jeté dans les bras d’un autre et d’un autre encore». Éric aime le jeu de la séduction. Il est le genre d’homme qui a toujours envie de se fondre dans l’autre. De sa relation avec Émile, il retient, entre autres, ce poignant constat: «Nous deux ensemble pour longtemps, c’est une belle équation.»

Pour apprécier ce livre à sa juste mesure, il faut presque avoir le goût de la psychanalyse. Éric clame haut et fort qu’il va de mal en pis, que ça ne l’intéresse plus «d’avoir des pensées rassurantes.» Il s’adonne à une opération de sabotage. Il ressent un besoin profond de tout détruire autour de lui. Il veut foutre le bordel pour justifier ses angoisses. Dans une de ses nombreuses lettres d’introspection, Éric écrit: «En bas âge, on ne sait pas s’occuper de soi. Une fois devenu adulte, on devrait savoir le faire, mais on est toujours un peu démuni face à l’existence. Toujours un peu enfant.»

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Je dois signaler que le style d’Éric Simard est finement ciselé et que Cher Émile recèle des phrases tantôt lapidaires, tantôt poétiques. En voici quelques exemples: «Ce que je ne dis pas en dit long.» / «Ce n’est pas l’amour qui rend aveugle, c’est le désir de plaire.» / «Je fuis le bonheur, de peur qu’il ne se sauve.» / «Être homosexuel, c’est un combat de tous les instants qu’on ne gagne jamais vraiment, même quand on croit l’avoir gagné.»

Il me serait difficile de croire qu’Éric Simard ait pu écrire un tel roman sans avoir lui-même vécu au moins une rupture, un échec amoureux. Ses réflexions sont trop denses et intenses pour n’être le résultat que d’une fiction pure et simple. Éric Simard ou Éric Narrateur se perd dans l’amour, se perd dans l’autre, se perd aux confins de soi. N’est-ce pas le risque que l’on prend à chaque nouvelle rencontre?

Roman épistolaire qui s’étend sur une période de cinq ans, Cher Émile tente de répondre à certaines questions qui hantent les amoureux, hommes et femmes, hétéros et homos. Pourquoi l’échec d’une histoire d’amour fait si mal? Est-ce que le fait d’être homosexuel peut en être la cause ou est-ce seulement une difficulté supplémentaire? Tous les états du désespoir amoureux – du questionnement identitaire profond à la déception rageuse, de la soumission pathétique à l’élan de reconstruction salutaire – défilent dans ces lettres d’Éric à Émile.

Éric Simard, Cher Émile, roman épistolaire, Éditions du Septentrion, collection Hamac, Sillery, 2006, 132 pages, 17,95$.

Auteur

  • Paul-François Sylvestre

    Chroniqueur livres, histoire, arts, culture, voyages, actualité. Auteur d'une trentaine de romans et d’essais souvent en lien avec l’histoire de l’Ontario français. Son site jaipourmonlire.ca offre régulièrement des comptes rendus de livres de langue française.

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