Chaque fois que je vais à Québec, je m’arrête à la Librairie Pantoute, rue Saint-Jean. Le libraire Éric Simard est un homme très accueillant. Il est aussi un écrivain qui a publié un roman épistolaire intitulé Cher Émile. Les lettres qui composent ce roman sont signées par Éric ou É. S’agit-il d’un roman autobiographique? Son contenu très intense et finement psychologique, voire émotif, pourrait le laisser croire. Mais la couverture indique bien que Cher Émile est un roman.
Éric écrit à Émile. Il lui parle de leur relation, de leur rupture, de ses aventures avec P.J. et René. Il lui décrit surtout ses états d’âme. Cet examen de conscience permet à Éric de voir clair, un tant soit peu, dans sa vie d’homme gai.
Éric se met à nu dans ces lettres empreintes de sincérité, de franchise, d’introspection. Au début, le lecteur a l’impression qu’Éric vit une peine d’amour et qu’il file un mauvais coton: «J’ai peur de ne pas réussir le reste de ma vie. Je ne sais plus ce que je veux ni où je vais. Je ne sais plus qui je suis. (…) J’ai peur d’arriver nulle part. Quand j’envisage l’avenir, c’est comme si je m’en allais foncer à pleine vitesse dans un mur.»
Au fur et à mesure que les missives défilent, le lecteur quitte le cœur d’Éric pour entrer dans sa tête. Il découvre que sa rupture avec Émile n’avait rien à voir avec le jeune homme. Éric s’en est servi pour fuir ses responsabilités. Dès la première occasion, il s’est «jeté dans les bras d’un autre et d’un autre encore». Éric aime le jeu de la séduction. Il est le genre d’homme qui a toujours envie de se fondre dans l’autre. De sa relation avec Émile, il retient, entre autres, ce poignant constat: «Nous deux ensemble pour longtemps, c’est une belle équation.»
Pour apprécier ce livre à sa juste mesure, il faut presque avoir le goût de la psychanalyse. Éric clame haut et fort qu’il va de mal en pis, que ça ne l’intéresse plus «d’avoir des pensées rassurantes.» Il s’adonne à une opération de sabotage. Il ressent un besoin profond de tout détruire autour de lui. Il veut foutre le bordel pour justifier ses angoisses. Dans une de ses nombreuses lettres d’introspection, Éric écrit: «En bas âge, on ne sait pas s’occuper de soi. Une fois devenu adulte, on devrait savoir le faire, mais on est toujours un peu démuni face à l’existence. Toujours un peu enfant.»