100 000 astronomes amateurs cherchent des naines brunes

Plus de 100 000 astronomes amateurs mettent leurs yeux au service de la quête de mystérieux objets célestes difficiles à observer: les naines brunes.
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Publié 19/12/2020 par Isabelle Burgun

L’astronomie reçoit actuellement un coup de pouce de citoyens des quatre coins du monde. Plus de 100 000 contributeurs mettent leurs yeux au service de la quête de mystérieux objets célestes difficiles à observer.

Avec le projet Backyard Worlds : Planet 9, ces passionnés pistent les naines brunes, des «presque étoiles» moins massives et surtout moins brillantes.

Comme cette faible luminosité complique leur détection, rien de tel que l’œil humain pour repérer ces petits points mouvants dans les cartes du ciel.

Un million d’images

«Le déplacement de petits objets peu lumineux au sein d’une galaxie étendue amène beaucoup de confusion pour les algorithmes, mais là, nos yeux excellent. Et lorsque des milliers de personnes fouillent la base de données, cela multiplie d’autant les trouvailles», résume Jonathan Gagné, professeur associé à l’Université de Montréal et conseiller scientifique au Planétarium.

Backyard Worlds : Planet 9 rassemble plus d’un million d’images à décortiquer issues de bases de données de nombreux télescopes de l’Association des universités pour la recherche en astronomie (AURA), images récoltées à travers le projet américain NOIRLab.

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Si le siège est à Tucson, en Arizona, les télescopes sont aussi bien en Arizona (Kitt Peak National Observatory) qu’à Hawaï (Gemini North) et au Chili (Gemini South et Vera C. Rubin Observatory).

Citoyens astronomes amateurs

Le programme Globe at Night — pour sensibiliser les citoyens à la pollution lumineuse — était un autre de ces projets où les yeux des astronomes amateurs de la planète avaient été sollicités pour faire avancer la science.

Car la contribution de plusieurs milliers de volontaires accélère les trouvailles: près de 100 nouvelles naines brunes sont décrites dans une récente étude, soit vingt fois plus que les précédentes publications de cette équipe de scientifiques, avant qu’elle ne s’allie avec les citoyens.

Cette nouvelle étude est d’ailleurs cosignée par plusieurs de ces citoyens astronomes amateurs. L’Observatoire québécois du Mont-Mégantic a été l’un des deux à identifier les cibles les plus prometteuses pour pointer le télescope spatial Spitzer, ajoute le chercheur.

Signalements

Ces 100 000 contributeurs sont rassemblés autour de l’application Zooniverse. Lorsque le participant repère un objet proche et mouvant inconnu, il le signale à l’équipe de recherche. Les objets qui font l’objet de nombreux signalements sont analysés en priorité.

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«Ce sont les pistes les plus prometteuses. Certains citoyens vont même contribuer de nombreuses autres façons, en plus de leurs yeux, en créant des outils informatiques», ajoute Jonathan Gagné.

Les yeux et le temps qui manquent

C’est en regardant une vidéo TED parlant de ce projet d’astronomie de Zooniverse que Guillaume Colin a eu le goût de se joindre à l’aventure. Pour lui, les citoyens sont «des yeux et du temps; ce qui manque aux équipes de professionnels. Backyard Worlds est un modèle de développement pour ce type de projets», relève le médecin français âgé de 40 ans.

Cet astronome amateur aime regarder les «classiques» à son télescope: Saturne, Jupiter, la Lune. Mais son intérêt pour l’astrophysique s’est renforcé avec le fait d’être en interaction avec les professionnels de la NASA et d’autres amateurs.

«Ma vision de l’univers n’a pas trop changé, mais j’ai développé des notions de calcul astronomique, et j’ai pu réviser les sinus et cosinus». Il ajoute qu’il ne connaissait pas les naines brunes avant de plonger.

Découvrir un astre avant tout le monde

«Le fait de pouvoir découvrir un objet céleste avant tout le monde est un sentiment incroyable. Je suis le premier humain à poser mes yeux sur cet objet en sachant ce que c’est!»

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«Par la suite, le même sentiment arrive avec les objets plus froids et rares comme une naine T. Le fait que l’équipe du Dr Marc Kuchner nous fasse participer à leurs réunions en visioconférence nous valorise beaucoup. C’est très important pour la motivation.»

«Enfin, cerise sur le gâteau, nous sommes mentionnés comme coauteurs en cas de publication impliquant une de nos découvertes. Je publie des articles en médecine: pouvoir être coauteur d’un papier dans une autre spécialité, c’est top!»

Immensité vertigineuse

Même enthousiasme pour l’autre astronome amateur français rejoint. «Même si je suis toujours ravi de profiter d’une nuit claire pour observer les étoiles, je n’ai pas utilisé de télescope depuis plus de 10 ans. L’observation de milliers de corps célestes situés en dehors de notre système solaire m’a permis de mieux prendre conscience de l’immensité vertigineuse de l’espace», confie Léopold Gramaize, âgé de 27 ans.

Cet attaché d’administration de l’État à la préfecture de police de Paris considère lui aussi que les citoyens sont particulièrement utiles pour ce type de recherche impliquant un volume important de données. «Dans de nombreuses situations, l’observation humaine reste plus précise que l’intelligence artificielle.»

Démarche enrichissante

«Au-delà de la satisfaction d’avoir apporté ma petite pierre à la science, je trouve cette démarche très enrichissante, car elle nous incite à faire preuve d’entraide, de curiosité et de créativité», ajoute celui qui a bricolé des programmes et des requêtes informatiques pour mieux identifier les objets possédant certaines caractéristiques spécifiques, parmi les milliards de sources fournies à ces «astrocitoyens».

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Cet équivalent d’un aimant pour chercher une aiguille dans une botte de foin l’a aidé, dit-il, à identifier plusieurs naines brunes.

«J’ai éprouvé une joie immense en réalisant que ce n’était pas le fruit du hasard, mais de ma compréhension du sujet qui semblait avoir franchi un cap. Même si j’ai toujours été fasciné par l’espace, mes connaissances se limitaient à des notions très générales et mon intérêt pour les naines brunes s’est construit au fil de mes recherches .»

Il est aussi l’auteur de l’image de WISEA 08062-0820, l’une des naines brunes qu’il a codécouvertes figurant dans l’article publié dans The Astrophysical Journal.

Un océan de naines brunes à découvrir

Les naines brunes sont des astres de faible masse qui possèdent une basse température et ne subissent pas de fusion d’hydrogène — ce qui les empêche de briller comme notre étoile.

Les plus froides ressemblent un peu à Jupiter, notre géante gazeuse, du côté de la taille et des propriétés. On les situe entre une exoplanète et une étoile. «Elles restent encore mystérieuses et on ignore même leur âge», note Jonathan Gagné.

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Le travail de catalogage mené par le projet NOIRLab et cette participation de milliers de citoyens, ont permis de mettre à jour près de 1500 naines brunes et même de rares paires de naine brune/naine blanche, soit la moitié des 3000 actuellement connues.

Une naine brune par parsec cubique

Jonathan Gagné estime qu’il se trouve une naine brune en moyenne dans chaque «parsec» cubique de notre galaxie — l’équivalent d’un cube de 3,3 années-lumière de côté. Ce qui s’avère beaucoup.

« Le mieux est de comparer cela aux étoiles. Avec la compilation d’un collaborateur, Eric Mamajek, on trouverait environ 9 étoiles dans le même volume. En d’autres mots, il y a environ 9 fois plus d’étoiles que de naines brunes», explique l’astrophysicien.

La NASA estime que notre galaxie compte entre 100 et 400 milliards d’étoiles. Il y aurait donc entre 11 et 44 milliards de naines brunes à découvrir. Autant dire que ces milliers d’amateurs ont encore du travail devant eux!

Auteur

  • Isabelle Burgun

    Journaliste à l'Agence Science-Presse, média indépendant, à but non lucratif, basé à Montréal. La seule agence de presse scientifique au Canada et la seule de toute la francophonie qui s'adresse aux grands médias plutôt qu'aux entreprises.

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