Mais qu’est-ce que c’est que tous ces sentiments pieux, ces bondieuseries sportives qu’on nous assène encore à propos de ce prétendu acte manqué de Zinedine Zidane à la finale de la Coupe du Monde? Ignorerait-on que le «foot» n’est pas un sport, ou plutôt n’est pas qu’un sport mais du grand spectacle, du panoramique planétaire en dolby stéréo, du showbiz?
Le «coup de boule» de Zidane, vous n’avez rien compris, n’est pas l’acte de violence incompréhensible d’un footballeur ordinaire, d’abord parce qu’il n’y a aucun intérêt à le comprendre, ça ramènerait tout à une pathétique dimension humaine, ça saccagerait le mythe: non, c’est un acte énorme dans sa théâtralité et sa médiatisation, perpétré par une diva qui échappe aux carcans des convenances et de la bonne conduite, comme Marilyn Monroe morte au milieu de ses comprimés et ses vomissures ou l’obèse Mama Cass étouffée par un sandwich au jambon.
C’est à mettre dans la catégorie de Jimmy Connors qui agonit d’une cascade d’injures ordurières le très digne arbitre de Wimbledon ou de Ben Johnson, trop rapide pour être honnête. Les Dieux du Stade ont leurs prérogatives, dont celle de se transformer en démons quand bon leur semble.
Mais quand même, il y a le sport, et il faut un peu en parler. Le foot, en France, c’est depuis longtemps une affaire de crève-la-faim, de prolétaire, d’immigré. Parce que pour courir, tomber et recevoir des coups au plus haut niveau pendant 90 minutes, y exceller et en redemander, il faut être sacrément motivé, il faut être imperméable à l’idéologie ambiante de la bouffe et du picrate, il faut s’être vu refuser l’accès à l’élémentaire épicurisme des vacances dans le Midi et de la sécurité de l’emploi. Il faut être un dur.
Alors, tous les vingt ans ou à peu près, la France accouche d’un génie footballistique dont elle assimile avec désinvolture l’étrangeté et l’«étrangèreté»: d’abord Raymond Kopaszewski, dit Kopa, fils de Polonais, puis Michel Platini, petit-fils d’Italien, et enfin Zinedine Zidane, Algérien à l’accent marseillais ou Français au look maghrébin, au choix. Tout ça, comme on dit en bon français, c’est du kif. Depuis les années 50, une tradition s’est instaurée, et l’équipe de France n’a brillé que sous la houlette de stratèges aux racines récemment transplantées.