Variations sur un thème

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Publié 27/01/2009 par Pierre Léon

Le vol organisé, au Mexique, a défrayé récemment la chronique des journaux et exalté l’imagination des lecteurs. Depuis que le monde est monde, il y a des larrons, voleurs de grands chemins ou détrousseurs de bourgeois. Parmi eux, on compte des êtres pittoresques et sympathiques qui ne volent que les riches; des Robin des Bois ou Arsène Lupin.

D’autres aussi, comme les gitans de mon enfance, qui prétendaient «restituer» quand ils dérobaient. Lorsqu’ils passaient dans le village, toutes les portes se fermaient et les chiens lâchés les accompagnaient jusqu’à la sortie du village. Ça ne les empêchait jamais d’attraper une poule par-ci par-là. Une de leurs techniques était une ficelle avec un hameçon sur lequel ils avaient enfilé un vers de terre. Ils laissaient traîner la ligne ainsi faite derrière leur roulotte. Il y avait toujours une poule assez fofolle pour se précipiter sur le vers et l’avaler. Hop! Elle était prise.

Aujourd’hui les bohémiens doivent être appelés «gens du voyage». Ils ne volent plus de poules, car ils ont beaucoup d’enfants qui leur rapportent un bon salaire, grâce à la sécurité sociale. Ils peuvent donc avoir des poulets tout cuits, de beaux «camping cars», une Mercedes pour le chef et s’offrir le luxe de se laver. D’autre part, ils ont fait beaucoup de progrès dans le commerce.

Autrefois, les femmes et les jeunes enfants gitans allaient, toujours pieds nus, proposer aux villageois toutes sortes de dentelles, confectionnées par des grands-mères, toujours énormes mais cachées au fond de la roulotte. Ils vendaient aussi des paniers d’osier, tressés par les hommes, au bord des ruisseaux. Quand ces bohémiens de ma jeunesse arrivaient dans un village, le mari, bel et imposant mâle, à la moustache andalouse, venait derrière la ribambelle de ses femmes. Elles marchaient à la queue leu leu, leur panier de dentelle au bras, avec l’air de défi noble qui sied à leur peuple. Lui, le chef, surveillait son harem d’un air jaloux et prêt à la bagarre si quelqu’un regardait trop complaisamment une de ses dames, parfois jolie et toujours ressemblant à la tragique Carmen.

Maintenant, les gens du voyage mènent une existence moins stressante. Ils ne vendent plus de dentelles mais ont gardé comme distraction la revente de paniers, mal faits par une usine bon marché. Ils les proposent sans conviction à l’entrée des supermarchés, sachant bien que la ménagère moderne préfère un sac en plastique. La diseuse de bonne aventure a disparu et les dames tendent à se consacrer au commerce de leurs charmes sous l’œil de maris devenus conciliants et encourageant. Finie la jalousie ancienne. Le boulot avant tout. Mais il en existe aussi qui ne travaillent pas et vivent comme des modèles philosophiques d’un nirvana hors du temps mesquin du travail.

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Je songeais à toute cette population qui tient à sa marginalité et que la société bourgeoise, politiquement correcte et bien pensante de l’âge du libre choix, ne chasse plus, et fait semblant de ne plus mépriser. Elle se donne bonne conscience en construisant des villages, équipés de télévision et de sanitaires pour ces gens du voyage, qui n’ont plus guère besoin de luxe dans leurs nouvelles roulottes.

Les gitans qui chapardaient une poule ou attrapaient un lapin au collet auraient bien fait rire les détrousseurs de riches ou de touristes de pays comme le Mexique. Le récent article du Globe brosse une peinture effrayante du banditisme dans ce pays. À Mexico, une femme ne peut plus sortir habillée un peu chic, si elle n’est pas accompagnée d’un garde privé. Avec un policier, elle risquerait peut-être plus, tant la police est corrompue. On dit que le mal vient du fait que la Colombie a arrêté de nombreux trafiquants de drogue. Leurs gangs seraient venus à Mexico pour d’autres trafics, ceux du vol et du rançonnement. Mais il y a longtemps déjà que le touriste est, au Mexique, un pigeon aussi facile à attraper que les poules des anciens gitans.

L’un des premiers conseils qu’un ami mexicain m’avait donné quand je suis allé au Mexique pour la première fois, il y a quelque quarante ans, c’était: Ayez toujours un billet de 20 dollars dans votre passeport. On vous arrêtera sur la route car vous aurez dépassé la limite de vitesse. Ce ne sera probablement pas vrai. Ne protestez pas, vous passeriez pour un naïf qu’on serait obligé d’envoyer chercher son passeport, le lendemain, en taxi, dans un coin perdu, à l’autre bout de la ville, avec risques de complications longues et coûteuses. Donc tendez votre passeport plié en deux à l’agent, sans broncher. Vous pouvez éventuellement sourire. Il prendra le document et, impassible, mettra le billet de 20 dollars dans sa poche. Puis il vous dira que c’est bien. Il ne manquera pas d’ajouter, avec une pointe d’humour: «Ne recommencez pas!»

Je suis retourné plusieurs fois dans ce merveilleux pays qu’est le Mexique et j’ai, chaque fois, recommencé mes «excès de vitesse» avec le même scénario! Apparemment, les choses se font maintenant sur une plus grande échelle.

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