Il semble de plus en plus difficile, en matière de chanson, de trouver des modes ou des avenues d’expression inexplorés. Ceux qui parviennent encore à nous surprendre le font de deux façons différentes: soit par le biais de la langue (métaphores, onomatopées, calembours), soit par le biais du regard, c’est-à-dire en présentant une situation familière sous une perspective inédite, comme un photographe focalisant sur un élément d’apparence anodine, mais qui nous permet de mieux comprendre l’ensemble du tableau.
Hurluberlu sympathique et surdoué, Urbain Desbois (de son vrai nom Luc Bonin, ce qui explique sans doute le pseudonyme) est un des rares à maîtriser les deux techniques. La gravité me pèse (Audiogram) multiplie les trouvailles tantôt rigolotes, tantôt touchantes, qui ne sont pas sans évoquer l’univers de Dick Annegarn. Musicalement, le bougre tutoie Beck et Thomas Fersen, et vouvoie même les Beatles sur le plan de la palette sonore.
D’entrée de jeu, Urbain désarme l’éventuel critique avec une confession de futilité faussement naïve (Mes chansons ne servent à rien) pour ensuite s’effacer derrière ses propres mots («Je ne veux pas être un poète/J’aimerais mieux être un poème»), le temps d’une de ces rares chansons qui renouvellent le discours amoureux.
Pour le reste, Urbain se permet une foule de métamorphoses aussi improbables que réjouissantes: tantôt rejeton végétarien d’une famille de cannibales, tantôt réincarné sous la forme d’un joli foulard vert à carreaux, il nous rappelle qu’au pays des refrains, le plaisir est souvent proportionnel à la surprise.
Papillon poids lourd
Quand on pense qu’il nous a jadis donné Offenbach, Corbeau et Aut’Chose, le Québec d’aujourd’hui produit relativement peu de disques auxquels on pourrait coller, en toute confiance, l’étiquette «100 % rock and roll». Vous me direz qu’il nous reste Daniel Boucher, Les Chiens, Éric Lapointe (et je vous concède même les Respectables), mais on a l’impression que chez eux, le rock and roll est un langage stylistique choisi parmi tant d’autres, plutôt que l’expression d’un besoin viscéral de casser la baraque.
Et voilà que déboule Papillon et Pop Rop (Sphere Music/Dep), puissant concentré de rock’n roll attitude (pour employer l’expression chère à Johnny) et d’attitude tout court: baveux, macho, arrogant, le jeune rockeur s’amuse à tirer sur tout ce qui bouge, à commencer par l’hégémonie du politically correct, comme en témoigne le ravissant Câlisse, où il revendique son appartenance au clan de ceux pour qui la fureur de vivre s’exprime en roulant la pédale au plancher, le volume au max et un quarante onces de fort entre les cuisses.