Une réforme du Sénat?

(Suite de la semaine dernière)

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Publié 17/10/2006 par Gabriel Racle

«Le fait que les sénateurs puissent être nommés – et ils le sont quelquefois – pour des mandats de 15, de 30, voire de 45 ans n’est tout simplement pas acceptable pour la collectivité canadienne du XXIe siècle», déclarait le Premier ministre le 7 septembre, devant un comité sénatorial.

Mais, réduire à huit ans la durée du mandat des sénateurs suscite des réactions contradictoires. Certains sénateurs déclarent que la proposition du Premier ministre est inconstitutionnelle. Ils se fondent sur un avis de 1979 de la Cour suprême du Canada. Elle avait déclaré que le Parlement pourrait apporter des changements au Sénat sans rouvrir la Constitution, si ceux-ci n’affectaient pas les «caractéristiques essentielles» du Sénat.

Sinon, il lui faut l’appui de sept provinces représentant 50% de la population. Pour eux, dont le sénateur libéral Serge Joyal, auteur de «Le Sénat, incarnation du principe fédéral» (dans: Protéger la démocratie canadienne: le Sénat en vérité, Montréal, 2003), ramener cette durée maximale à huit ans constitue une atteinte à l’une des «caractéristiques essentielles» du Sénat.

Par contre, d’autres sénateurs, juristes et professeurs, comme le constitutionaliste et sénateur à la retraite Gérald-A. Beaudoin, sont d’avis que la Loi constitutionnelle de 1982 le permet. Mais il faut encore que le projet de loi du gouvernement soit adopté par la Chambre des communes, puis par le Sénat lui-même, ce qui ne va pas de soi.

« C’est la phase 2, l’élection du Sénat, qui est difficile! Plusieurs disent que tout est bloqué, qu’il faut abandonner, que c’est sans issue. Quelques provinces parlent de l’abolition du Sénat. Ce serait une erreur. Le Sénat permet d’améliorer la législation. C’est déjà énorme! Les comités sénatoriaux sont très efficaces et très utiles», de dire G-A. Beaudouin.

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De fait, toutes grandes démocraties ont une deuxième chambre, dont les membres sont élus, à part la Chambre des lords britannique, en transition. Et dans le cas d’États ayant des composantes fédérées ou régionales, cette chambre a pour fonction de les représenter. Ainsi en est-il du Conseil des États, la chambre haute du Parlement suisse. Chaque canton élit deux conseillers au suffrage direct.

En Espagne, le Sénat est la chambre de représentation territoriale, dont 208 membres sont élus au suffrage universel direct dans les provinces et les îles et 51 indirectement par les assemblées législatives des 19 communautés autonomes.

En Italie, 315 sénateurs sont élus au scrutin direct sur une base régionale, proportionnellement à la population de chaque région. En Australie, les 6 États élisent au scrutin direct 12 sénateurs et les 2 territoires en ont 2.

En Allemagne le Bundesrat («Conseil fédéral») représente les 16 Länder (États) allemands. Ses membres proviennent du conseil des ministres de chaque Land et ils disposent d’un nombre de votes selon la population de chaque Land : moins de deux millions d’habitants, trois voix; entre deux et six millions, quatre voix, entre six et sept millions cinq voix, plus de sept millions, six voix.

Aux États-Unis, les sénateurs, d’abord nommés, sont élus au suffrage universel depuis 1913, à raison de 2 sénateurs par État.

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L’objection voulant que deux chambres élues se fassent concurrence ne semble pas tenir. Dans un document de 1978, le gouvernement du Canada prétendait que «l’élection du Sénat minerait à elle seule la suprématie de la Chambre des communes et sèmerait la confusion.».

Mais même à Londres, il est question de poursuivre la réforme de la Chambre des lords, avec des propositions d’élection de ses membres.

Outre le problème constitutionnel que pose le passage à un Sénat élu, restent d’autres questions: qui élit qui, qui représente qui? Une proposition comme celle de l’Alberta (1985) en faveur d’un Sénat triple-E, élu, égal et efficace, accordait 6 sénateurs à chaque province.

Actuellement, le Québec et l’Ontario dispose de 24 sièges. «Pour le Québec, et peut-être aussi pour d’autres provinces, la représentation égale des provinces au Sénat… apparaît difficilement recevable. On peut le comprendre, vu les différences énormes de taille géographique et démographique entre les provinces canadiennes», estiment les professeurs de droit constitutionnel H. Brun et E. Brouillet de l’Université Laval.

Pour eux d’ailleurs, au terme d’une analyse rapide, il apparaît que «dans ces conditions inéluctables qui rendent non souhaitable, sinon impossible, la réforme démocratique ou fédérative du Sénat canadien, l’abolition représente le seul avenir valable pour cette institution.» (Le Devoir, 19 septembre)

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Mais pour G.-A. Beaudoin, «si une province ou le fédéral voulaient abolir le Sénat, il leur faudrait l’accord du Parlement fédéral et des dix provinces. L’abolition du Sénat n’est pas pour demain!.… Si le mandat de huit ans est adopté au Canada, quelles sont les chances de pouvoir par la suite obtenir un Sénat élu? Elles seraient meilleures. Je crois qu’il faut aller dans cette direction.» (Le Devoir, 16 juin)

Une solution provisoire consisterait en la nomination par le Premier ministre de sénateurs désignés ou élus par les provinces. Mais cette solution temporaire ne règlerait en rien le problème de fond: le Canada veut-il se doter d’un Sénat élu?

Auteur

  • Gabriel Racle

    Trente années de collaboration avec L'Express. Spécialisé en communication, psychocommunication, suggestologie, suggestopédie, rythmes biologiques, littérature française et domaine artistique. Auteur de très nombreux articles et d'une vingtaine de livres dont le dernier, «Des héros et leurs épopées», date de décembre 2015.

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