Le 31 décembre, lors de la présentation de ses vœux aux Français, le président Nicolas Sarkozy fait cette déclaration: «Depuis trop longtemps la politique se réduit à la gestion, restant à l’écart des causes réelles de nos maux qui sont souvent plus profondes. J’ai la conviction que dans l’époque où nous sommes, nous avons besoin de ce que j’appelle une politique de civilisation.» Et après quelques explications il ajoute: «C’est ce que nous voulons faire partout dans le monde pour redonner de l’espoir à ceux qui n’en ont plus.» Cette politique pourrait-elle aussi nous intéresser? Mais, de quoi s’agit-il?
Le président français a emprunté le concept au sociologue et penseur Edgar Morin. En 1997, il publie avec un autre auteur Une politique de civilisation (Arlea), puis, en 2002, un petit livre Pour une politique de civilisation (Arlea, 80 p.), qui est un chapitre extrait du livre précédent, réédité en janvier 2008 grâce à la publicité présidentielle.
Comme le précise Edgar Morin dans un entretien au journal Le Monde (janvier 2008): «Il faut distinguer culture et civilisation. La culture est l’ensemble des croyances, des valeurs propres à une communauté particulière. La civilisation, c’est ce qui peut être transmis d’une communauté à une autre: les techniques, les savoirs, la science, etc. Par exemple la civilisation occidentale dont je parle, qui s’est du reste mondialisée, est une civilisation qui se définit par l’ensemble des développements de la science, de la technique, de l’économie.»
Edgar Morin brosse un tableau de cette civilisation, de ses «innombrables effets positifs – démocratie, droits de l’homme, individualisme, progrès scientifique et technique – mais également des effets négatifs de plus en plus importants, voire prépondérants». «Il s’agit des déficiences et des carences de notre civilisation, et par là-même, il s’agit de nos besoins et de nos aspirations, qui ne sont pas seulement monétaires», écrit-il. Cette précision est importante, c’est en quelque sorte une clé pour comprendre la politique de civilisation.
Voici quelques exemples de cette dégradation de nos sociétés. L’individualisme, un acquis de la civilisation occidentale, s’accompagne de solitude, d’égocentrisme, de manque de solidarité. La technique, libératrice d’énergie humaine, entraîne un asservissement à la logique quantitative de la machine; l’industrie provoque pollution et dégradation de la biosphère; la science n’est pas que source de bienfaits, elle comporte aussi les dangers atomiques ou les manipulations génétiques; le mythe du progrès, qui rendrait demain meilleur qu’aujourd’hui, s’est effondré, non «que tout progrès soit impossible, mais il n’est pas automatique car il comporte des régressions de tous ordres. Il nous faut reconnaître aujourd’hui que la civilisation industrielle, technique et scientifique crée autant de problèmes qu’elle en résout». (Entretien, 1997) Tous ces phénomènes de dégradation viennent de ce que la quantité, le «plus», l’emporte sur le mieux. D’où la nécessité d’une réforme de civilisation.