Une grève qui tourne au déluge

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Publié 29/10/2013 par Gabriel Racle

Le mot grève est désormais très répandu. Le plus cocasse est qu’il tire son origine d’un contresens. Le mot vient du gaulois grave, qui désignait du gravier. Il avait donné son nom, au XIIe siècle, à une place de Paris, en bord de Seine, couverte de sable. Les ouvriers sans travail s’y rassemblaient pour en chercher, ils allaient «en grève» dans ce but.

Ce n’est qu’au XIXe siècle qu’est apparue l’expression faire grève, au sens moderne du terme, cesser de travailler.

Mais cette manifestation sociale se perd dans la nuit des temps, et elle a eu des retombées tout aussi imprévisibles qu’impressionnantes. C’est ce que nous conte un ancien texte mésopotamien.

Un texte célèbre

C’est le Poème d’Atrahasis ou Supersage, un texte de 1200 lignes, de 1700 avant notre ère, en écriture cunéiforme, retrouvé sur trois tablettes d’argile. «C’est l’exposé le plus connu des idées que les hommes se sont fait touchant leurs propres origines et le sens de leur existence», explique l’assyriologue Jean Bottéro dans Mésopotamie.

Le récit explique que les dieux étaient à l’origine divisés en deux groupes: les dieux secondaires travaillaient pour les grands dieux, qui vivaient dans l’oisiveté. «Ils étaient de corvée et besognaient, énorme était leur besogne, leur corvée lourde, infini leur labeur», dit le texte.

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Alors, excédés de leur travail épuisant et par cette inégalité, ils décident de cesser leur travail, ils se «mettent en grève», ils brûlent leurs outils et vont trouver leur employeur, le grand maître des dieux, Enlil.

Émoi chez les grands dieux: pas de travailleurs, c’est la misère, la famine.

Une assemblée se réunit et un dieu ingénieux, Èa, propose une solution: créer un remplaçant des dieux-travailleurs, assez doué pour travailler aussi bien qu’eux, mais d’un statut différent et d’une durée de vie limitée. Ce sera l’homme.

Travailleurs humains

L’idée est acceptée avec enthousiasme.
Èa prépare un mélange d’argile et du sang d’un dieu, trucidé pour que l’être qui résultera de cette création ait un esprit pratique pour accomplir à la perfection le travail requis. Sa composition en argile fait qu’il retournera un jour à la terre d’où il provient, et son esprit subsistera à jamais, puisqu’il est d’origine divine.

C’est la grande déesse Mère – il faut bien une origine féminine – qui transforme la matière première d’Éa en êtres humains, avec sept moules masculins et sept moules féminins.

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Tout se passe bien, les humains accomplissent parfaitement leur travail. Ils prospèrent, se multiplient, car leur durée de vie est fort longue, et font de plus en plus de bruit, au point que le souverain maître de l’univers et des dieux ne peut plus dormir. Il décide de supprimer la source de ce tapage, les hommes, à l’aide de différents moyens:

«La rumeur des humains est devenue trop forte. À cause de leur tapage continuel je n’arrive plus à dormir. Nous leur avons déjà envoyé maladies, fièvres, épidémies et pestilences pour les décimer, mais très vite ils se sont à nouveau multipliés. Nous leur avons envoyé sécheresse, famines et autres fléaux sans plus de résultat. Maintenant il faut en finir une fois pour toutes et envoyer sur les hommes le déluge afin qu’il n’en reste pas un.»

Le déluge

Éa avait jusqu’alors averti les humains des menaces qui pesaient sur eux, d’où leur insuccès. Avec le déluge, l’affaire devient sérieuse.

Tous les dieux, y compris Éa, ont dû faire le serment de ne rien révéler aux hommes. Mais Éa use d’un stratagème pour avertir un de ses fidèles, Atrahasis ou Supersage, par un songe, en lui suggérant de construire un bateau.

Si les hommes disparaissaient, ce serait le retour de la famine!

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En sept jours, le bateau est construit et montent à bord femme, famille, parenté et ouvriers, ainsi que des animaux sauvages, grands et petits, et des oiseaux.

Des cataractes se déchainent pendant sept jours, mais le bateau flotte et se pose sur une montagne le calme revenu. Atrahasis lâche des oiseaux. Lorsqu’ils ne reviennent plus, Supersage sort de son embarcation, prépare un banquet qui attire les dieux affamés, y compris le grand maître, furieux de voir des survivants.

Mais il se range à l’avis d’Éa, il faut garder des hommes au service des dieux. Il accorde l’immortalité à Supersage et à sa femme. Mais les autres humains verront leurs jours raccourcis et des femmes auront des problèmes de procréation, ce qui diminuera leur nombre.

Le déluge biblique

Les rédacteurs de textes de la Genèse ont presque fait un copier-coller de ce récit, qui se trouve aussi dans l’Épopée de Gilgamesh, la première épopée connue. Quelques changements apparaissent dans le texte biblique, mais il reste tout aussi mythique que les textes mésopotamiens.

Et la grève des dieux-travailleurs a ainsi eu des répercussions inattendues dans sa postérité littéraire, qui a survécu jusqu’à nos jours.

Auteur

  • Gabriel Racle

    Trente années de collaboration avec L'Express. Spécialisé en communication, psychocommunication, suggestologie, suggestopédie, rythmes biologiques, littérature française et domaine artistique. Auteur de très nombreux articles et d'une vingtaine de livres dont le dernier, «Des héros et leurs épopées», date de décembre 2015.

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