Une France au bord de la dérive sociale

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Publié 25/04/2006 par Yann Buxeda

«La rue doit s’exprimer, mais ce n’est pas la rue qui gouverne», avait lancé l’ex-Premier ministre français Jean-Pierre Raffarin en 2003, alors que se jouait l’avenir des retraites des actifs de l’Hexagone. Force est de constater que si la formule est légitime, le propos est dépassé. La rue, hier remise à sa place par une énième «raffarinade», est aujourd’hui sans conteste le moteur sous-jacent du pouvoir exécutif français.

Preuve en est avec le CPE, défendu pendant deux mois corps et âme par le gouvernement Villepin, puis finalement abandonné sous la pression des contestations émanantes de la rue.

Ces derniers jours, un nouveau mal est apparu en politique française. Ou plutôt, s’est confirmé. Si la manifestation active de la rue avait prouvé quelques semaines auparavant qu’elle était bien une composante majeure de l’Éxecutif, il était encore prématuré de penser que le phénomène allait s’inscrire dans la durée.

Il semblerait pourtant que le gouvernement, affaibli par la grogne sociale débutée en novembre dernier par les émeutes des banlieues, soit maintenant soumis à une pression latente. Difficile en tout cas d’expliquer autrement le choix de Dominique de Villepin au sujet de l’interdiction de fumer dans les lieux publics. Il y a seulement 10 jours, il était question de légiférer au plus vite sur le sujet, et voilà maintenant que la consultation est reportée. Une décision qui fait suite à l’annonce d’une journée de protestation de la Confédération des débitants de tabac mais de là a y voir un lien direct…

Autre corrélation surprenante, c’est celle du recul quasi-unilatéral sur la loi qui encadrait les organisations de vides-greniers. Une tradition française contre laquelle s’était élevés les brocanteurs professionnels, affirmant que ces revendeurs occasionnels portaient un coup fatal à la bonne tenue de leur activité. Ils avaient obtenu gain de cause en 2005, les «puciers» se voyant contraints de limiter leurs ativités à deux marchés par an. Mais le dossier a récemment ressurgi et, une fois encore, la menace d’une journée d’action a su faire revenir le gouvernement sur sa décision.

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Sur de mauvais rails

La démocratie française est-elle malade? Difficile d’affirmer le contraire au regard de ces constats alarmants.

Pour Jacques Capdevielle, directeur de recherche au Centre de recherche politique de Sciences-Po Paris et auteur de Démocratie: la panne aux Éditions Textuel en 2005, le malaise est plus global encore: «D’un regard extérieur, la situation de la France cristallise un malaise qui concerne en fait toute l’Union européenne.

La population de l’Hexagone a attiré l’attention car elle s’est soulevée activement ces derniers mois, mais le discrédit des personnalités politiques est général dans toute l’Europe. Par exemple, au Royaume-Uni, le nombre de votants pour des scrutins majeurs est en chute libre. L’Europe occidentale est aujourd’hui gangrenée par un système d’alternance politique sans alternatives concrètes».

Une analyse partagée également par une partie de la population étudiante. Vincent Varriel est étudiant en Histoire à Jussieu, l’une des plus grandes universités de la région parisienne. Même s’il n’a pas participé aux mouvements de contestation, il reconnait que la France est aujourd’hui dans une impasse: «Les hommes politiques ne parviennent plus à toucher l’opinion publique. Les électeurs votent presque par défaut, et ont plus tendance à exprimer une opinion contestataire qu’un plébiscite à travers leur bulletin. Et de l’autre côté de la barrière, nos représentants se cachent derrière les méandres de la conjoncture pour justifier une situation critique.»

Un propos qui exprime toute la frustration d’une frange de la population en marge du pouvoir décisionnel.

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Priorité au court terme

Alors que les échéances présidentielles de 2007 se profilent, l’analyse du paysage politique français amène pour le moment à penser que l’heure n’est pas au changement. Les reculs amorcés par le gouvernement Villepin ressemblent bien à une manoeuvre pour limiter la résurgence de la gauche et apaiser l’opinion publique.

Il est une fois de plus question de ne pas mettre en valeur le camp d’en face, quitte à limiter la portée des actions entreprises. Une situation peut-être rentable à court terme, mais qui ne devrait pas contribuer à sortir la France du bourbier social dans lequel elle est engluée.

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