Une belle victoire pour la langue française à Peterborough

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Publié 17/01/2012 par Gérard Lévesque

Agnès Whitfield aura finalement droit à un juge bilingue à Peterborough pour le procès civil qu’elle a intenté contre son frère. C’est ce qui ressort de l’audience présidée jeudi dernier par le juge Mark Edwards, à Peterborough. Mais cet heureux dénouement pour cette professeure titulaire au Département d’études anglaises de l’Université York a été une véritable course aux obstacles!

Le 4 avril 2011, le juge H.K. O’Connell préside le pré-procès. Dans son endossement, on peut lire ceci: «Dr. Whitfield wanted a trial conducted in French, as she indicated that some of the witnesses that she has speak French. The proceedings are otherwise in English. A French trial is therefore not required. The trial will be in English. If Dr. Whitfield has witnesses who speak French and prefer to testify in French, she must arrange an interpreter for those witnesses. That is an issue for Dr. Whitfield to arrange. It is not an issue for the Court.»

Agnès Whitfield retient les services de Maître Ronald Caza, du cabinet Heenan Blaikie. Celui-ci envoie le 26 juillet 2011 une lettre à l’avocat du défendeur pour l’informer qu’Agnès Whitfield va demander le transfert du dossier à la région bilingue de Kingston. Le 15 août 2011, Maître Jeffrey Lanctot écrit ceci: «You have asked me whether my client would consent to have a bilingual judge from another jurisdiction hear the case in Peterborough… My client would consent to this arrangement provided that:
1. …
2. Your client continues to produce and file all documents (including Court documents, expert reports, etc.) in English.
3. Your client agrees to be responsible for any translation costs incurred for the translation of any testimony or submissions at trial that are not otherwise paid by the Court.
4. Your client will request a daily transcript of any oral evidence or submissions given in French at the trial and produce a copy of the transcript to my client at your client’s expense (with the transcript including the translator’s translation, or interpretation, given during the proceeding).
5. My client’s consent in this regard will not apply to any appeal taken in the proceeding.»

Le 21 octobre 2011, le juge Alexander Sosna refuse un transfert de la cause dans la région désignée de Kingston pour un procès bilingue et refuse tout aménagement linguistique possible à Peterborough: «the endorsement of the civil pre-trial on April 4, 2011 by Justice O’Connell speaks for itself.»

La décision du 12 janvier 2012 du juge Edwards est une belle brèche dans le système actuel qui réduit, voire empêche, l’accès des justiciables au français dans les régions non désignées (dont Peterborough). Cette décision nous permet d’espérer un accès automatique au français dans toutes les régions.

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Cette saga du dossier Whitfield c. Whitfield interpelle les principaux partenaires de l’administration de la justice. Ils devraient tous prendre connaissance des documents énumérés ci-dessous. La juge-en-chef de la Cour supérieure de justice de l’Ontario devrait constater que le programme de formation continue des membres de la magistrature a un urgent besoin d’un volet en droits linguistiques.

La direction du ministère du Procureur général de l’Ontario devrait constater que les employés doivent être mieux informés des droits linguistiques devant les tribunaux et des moyens à utiliser pour s’en prévaloir. Le ministère devrait aussi réviser le concept des régions non désignées sous la Loi sur les tribunaux judiciaires.

Le Service d’équité du Barreau du Haut-Canada devrait constater qu’il n’est pas suffisant de promouvoir le devoir de compétence des avocats en affirmant l’obligation de ceux-ci à informer leurs clients de leurs droits linguistiques. Les avocats doivent être assez compétents pour informer leurs clients des droits linguistiques de la partie adverse.

Enfin, les législateurs ontariens devraient s’interroger si ce dossier n’illustre pas le fait qu’il est temps d’inscrire dans la Constitution canadienne ce qui est déjà dans la législation ontarienne: le français et l’anglais sont les langues officielles des tribunaux de l’Ontario.

Le parti-pris d’Agnès Whitfield pour la cause francophone n’est pas d’aujourd’hui. Elle a enseigné la littérature québécoise et canadienne-française pendant 10 ans à l’Université Queen’s où elle a eu la chance de suivre les cours du grand romancier Gérard Bessette.

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Dès son arrivée au Collège universitaire Glendon dans les années 1990, elle a présidé le Comité de sélection qui a nommé la première principale franco-ontarienne du Collège, Dyane Adam. Comme présidente du Comité de planification du Collège, elle a veillé aussi au renforcement des cours et des programmes offerts en français.

C’est aussi à cette époque qu’elle a organisé, avec ses collègues Yves Frenette et feu Jacques Cotnam, un séminaire interuniversitaire pour faire le bilan de la recherche sur la Francophonie ontarienne, séminaire dont les actes ont été publiés aux Éditions du Nordir.

Elle a œuvré pour faire reconnaître la littérature francophone d’ici, notamment en organisant des colloques et en publiant des ouvrages. Comme titulaire de la Chaire conjointe bilingue en études des femmes à l’Université d’Ottawa et à l’Université Carleton, elle a pris soin de revaloriser le côté francophone, comme ce fut le cas aussi à McGill où elle a été titulaire de la Chaire Seagram en études canadiennes.

Comme responsable de la chronique de la traduction à la revue University of Toronto Quarterly, elle a été la première à recenser les traductions littéraires vers le français.

Pour plus de renseignements :

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Texte de l’endossement du 4 avril 2011 du juge H.K. O’Connell dans l’affaire Whitfield c. Whitfield.

Lettre du 26 juillet 2011 de Maître Ronald Caza à Maître Jeffrey Lanctot.

Texte du 15 août 2011 de Maître Jeffrey Lanctot, avocat du défendeur

Résumé de la décision du 21 octobre 2011 du juge Sosna

Dossier de la motion présentée par la demanderesse

Auteur

  • Gérard Lévesque

    Avocat et notaire depuis 1988, ex-directeur général de l'Association des juristes d'expression française de l'Ontario. Souvent impliqué dans des causes portant sur les droits linguistiques. Correspondant de l-express.ca, votre destination pour profiter au maximum de Toronto.

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