Un virus échappé d’un laboratoire? Peu plausible

Des médias américains et le président Donald Trump ont accusé récemment le laboratoire de virologie de la ville de Wuhan, en Chine, d’avoir laissé «échapper» le fameux coronavirus. Ce n'est pas impossible, mais c'est loin d'être prouvé.
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Publié 13/05/2020 par Catherine Crépeau

Des médias américains et le président Donald Trump ont accusé récemment le laboratoire de virologie de la ville de Wuhan, en Chine, d’avoir laissé «échapper» le fameux coronavirus, et d’être ainsi à l’origine de la pandémie mondiale. Ce n’est pas impossible, mais c’est peu plausible, encore moins prouvé.

Deux rumeurs

Il faut d’abord rappeler qu’il existe deux rumeurs.

La première soutient que le virus serait une arme biologique créée volontairement dans un laboratoire chinois.

Cette rumeur ne tient pas la route, considérant la génétique du virus, qui ressemble fortement à un virus naturel de la chauve-souris, et qui ne porte aucune trace de marqueurs associés aux outils de manipulation génétique.

L’autre rumeur soutient que le virus aurait été étudié en laboratoire, et s’en serait échappé.

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Cette dernière rumeur remonte à la parution d’un article, le 15 février, sur la plateforme ResearchGate, un réseau social qui permet des échanges entre scientifiques. Deux universitaires chinois soutenaient que le nouveau coronavirus se serait échappé d’un des deux laboratoires de virologie de Wuhan.

Un documentaire

Les auteurs ont retiré leur article, jugé «spéculatif», après avoir été largement critiqués par d’autres chercheurs, mais la théorie continue de circuler.

Le journaliste d’enquête américain Joshua Philipp la défend avec force dans son documentaire Tracking down the origin of the Wuhan coronavirus.

Ce documentaire, produit par le journal Epoch Times (un média du groupe religieux anticommuniste chinois Falun Gong), a été amplement critiqué pour des erreurs de faits.

Alerte en 2018

Fox News et le Washington Post ont plus récemment relancé la rumeur.

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Citant des sources anonymes, Fox News avançait le 15 avril qu’un employé contaminé de l’institut aurait diffusé involontairement le virus dans la ville.

Un chroniqueur du Washington Post soutenait pour sa part que l’ambassade des États-Unis à Pékin avait alerté en 2018 les autorités américaines sur des mesures de sécurité apparemment insuffisantes dans ce laboratoire qui étudiait les coronavirus issus de chauves-souris. Toutefois, rien n’indique que le laboratoire n’ait pas remédié à ces éventuelles lacunes depuis.

De son côté, le président américain Donald Trump accuse depuis des semaines la Chine d’avoir tardé à alerter le monde sur la dangerosité du virus. Il a contribué en avril à disséminer la rumeur d’une création en laboratoire.

Fuite intentionnelle?

Aujourd’hui, l’administration américaine elle-même ne croit plus à un virus créé en laboratoire.

Les services de renseignements ont convenu, le 30 avril, que le virus de la CoViD-19 n’avait pas été créé par l’humain ou modifié génétiquement, tout en précisant qu’ils continuaient leur enquête sur sa provenance.

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La Maison-Blanche et le secrétaire d’État Mike Pompeo ont cependant continué d’avancer qu’il pourrait s’agir d’un virus qui se serait échappé d’un laboratoire, laissant même entendre une fuite intentionnelle.

Dans une lettre à l’éditeur publiée le 17 mars dans Nature Medicine, cinq experts en immunologie et microbiologie (trois Américains, un Britannique et un Australien) jugeaient peu plausible un «quelconque scénario en laboratoire».

Trop de coïncidences

Une évaluation également faite par une dizaine de scientifiques interrogés par la radio américaine NPR, qui étudient des génomes de virus et des accidents de laboratoire. Selon eux, un rejet accidentel aurait nécessité une «série remarquable de coïncidences» et d’écarts par rapport aux protocoles expérimentaux établis.

Par exemple, les chercheurs en laboratoire travaillent sur des virus «désactivés» à l’intérieur de hottes biosécurisées.

Le professeur en microbiologie et immunologie à l’Université Columbia et auteur de la baladodiffusion This Week in Virology, Vincent Racaniello, soutient pour sa part que si le virus s’était échappé d’un laboratoire, les chercheurs ou les techniciens seraient tombés malades.

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Le plus haut niveau de biosécurité

Même Anthony Fauci, directeur de l’Institut national des maladies infectieuses, qu’on a souvent vu ces dernières semaines aux côtés du président Trump, est intervenu dans une entrevue au National Geographic le 4 mai pour dire que les preuves du caractère naturel du virus sont solides.

En somme, même s’il est impossible de «prouver» qu’un virus ne s’est pas échappé d’un laboratoire, il n’existe aucune raison de soutenir que cela s’est produit. Et l’affirmation est improbable dans la mesure où le laboratoire de Wuhan mis en cause, malgré les déficiences notées lors d’inspections en 2018, est doté du plus haut niveau de biosécurité (P4) fixé par des normes internationales.

Le marché de fruits de mer

Un consensus au sein des chercheurs veut que le SRAS-CoV-2 ait commencé comme un virus de chauve-souris qui a évolué naturellement, probablement chez un autre mammifère, pour ensuite devenir apte à infecter les humains.

Le marché de fruits de mer de Wuhan, où sont vendus des animaux sauvages, a été identifié dès le début de l’épidémie comme source de propagation, mais il n’y a encore de ce côté aucune preuve concluante.

Une étude publiée dans le New England Journal of Medicine avait révélé que sur les 425 premiers patients, seulement 45% avaient des liens avec le marché. Une analyse publiée le 24 janvier dans The Lancet avait révélé que trois des quatre premiers cas connus n’avaient aucun lien avec le marché.

On en revient toujours à la chauve-souris.

Auteur

  • Catherine Crépeau

    Journaliste à l'Agence Science-Presse, média indépendant, à but non lucratif, basé à Montréal. La seule agence de presse scientifique au Canada et la seule de toute la francophonie qui s'adresse aux grands médias plutôt qu'aux entreprises.

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