Un membre de la magistrature peut-il être moins compétent qu’un membre du barreau?

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Publié 29/06/2010 par Gérard Lévesque

L’avocat a une obligation de compétence: le Code de déontologie des membres du Barreau stipule qu’un avocat dispense les services juridiques qu’il s’engage à rendre à un client en respectant les normes qui découlent de ce qui définit un avocat compétent. À titre de membre de la profession juridique, l’avocat est réputé avoir les connaissances, l’expérience et les aptitudes requises pour exercer le droit. L’avocat incompétent nuit à ses clients, déshonore sa profession et risque de jeter le discrédit sur l’administration de la justice. L’avocat doit reconnaître ses limites professionnelles; il ne doit donc pas accepter une affaire s’il n’est pas honnêtement convaincu de posséder la compétence nécessaire pour la traiter. Mais alors, cette exigence de compétence diminue-t-elle lorsqu’on accède à la magistrature?

Selon la ministre de la Justice de l’Alberta, le projet de loi C-232 visant à confirmer qu’il est nécessaire de comprendre le français et l’anglais, sans interprète, pour être nommé à l’un des neuf postes de juges de la Cour suprême du Canada, devrait être retiré ou défait parce que ce projet de loi établit un symbolisme linguistique futile et inutile, des standards pour des candidats à la magistrature qui ne sont pas reliés au fonctionnement approprié de la Cour.

Dans les mots de la ministre: «meaningless and unnecessary linguistic symbolism…standards for candidates to the court that are not related to the court’s proper function» . C’est en effet ce qu’elle écrit dans sa lettre du 3 juin dernier envoyée aux chefs des partis de l’opposition, à la Chambre des communes.

Je présume que, dans le cadre des célébrations de la Fête du Canada, Michael Ignatieff, Gilles Duceppe et Jack Layton vont rendre publique à tour de rôle leur réponse à la ministre Alison Redford.

La ministre Redford semble ne pas savoir qu’au Canada, une majorité d’autorités législatives emploient à la fois la langue française et la langue anglaise et que les versions française et anglaise de leurs lois et règlements ont également force de loi.

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Sous le leadership de la ministre Redford, l’Alberta continue d’ignorer le fait qu’en 1999, dans la cause Beaulac, la Cour suprême du Canada a écarté l’interprétation minimaliste des droits linguistiques, laquelle avait été énoncée en 1986 dans l’affaire Société des Acadiens.

À mon avis, l’interprétation généreuse qu’il faut donnée aux droits linguistiques, le principe constitutionnel de protection des minorités et la règle d’égale autorité font en sorte qu’un juge unilingue de la Cour suprême ne pourrait plus traiter de dossiers dont il ne peut comprendre sans interprète la langue officielle utilisée dans les plaidoiries orales ou écrites. Il devrait ainsi se récuser pour tout dossier en provenance d’une autorité législative utilisant les deux langues.

Quelles sont ces autorités qui limiteraient considérablement la charge de travail d’un juge unilingue de la Cour suprême? Il s’agit en premier lieu du Parlement canadien, du Québec, du Nouveau-Brunswick, du Manitoba, de l’Ontario, du Yukon, des Territoires du Nord-Ouest et du Nunavut.

En effet, en vertu de l’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867, les lois du Parlement du Canada et de la Législature du Québec doivent être imprimées et publiées en français et en anglais; le paragraphe 18 de la Charte canadienne des droits et libertés prévoit que les lois, les archives, les comptes rendus et les procès-verbaux du Parlement et de la Législature du Nouveau-Brunswick sont imprimés et publiés en français et en anglais, les deux versions des lois ayant également force de loi et celles des autres documents ayant même valeur; l’article 23 de la Loi de 1870 sur le Manitoba dispose que les actes de la législature doivent être imprimés et publiés en français et en anglais; et, en Ontario, la Loi sur les services en français confirme que la législation doit être adoptée en français et en anglais.

La législation du Yukon prévoit que les lois adoptées par l’Assemblée législative et leurs règlements d’application sont imprimés et publiés en français et en anglais, les deux versions ayant force de loi et même valeur. La législation des Territoires du Nord-Ouest stipule que les lois promulguées par la Législature ainsi que les archives, comptes rendus et procès-verbaux de l’Assemblée législative sont imprimés et publiés en français et en anglais, les deux versions des lois ayant également force de loi et celles des autres documents ayant même valeur. La même règle s’applique au Nunavut.

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Il faut aussi noter que, conformément à sa Loi linguistique, la Saskatchewan a adopté des lois en français et en anglais dont les deux versions ont également force de loi, que la Nouvelle-Écosse a adopté une loi dans les deux langues et indiqué que chacune des versions a également force de loi et que même l’Alberta a adopté une loi dans les deux langues et spécifié que les deux versions ont même valeur.

Comme la règle d’égale autorité veut que les versions française et anglaise d’une loi constituent deux énoncés de l’intention législative qui font pareillement autorité, et qu’aucune version n’a préséance sur l’autre ou ne lui est supérieure ou inférieure, il est essentiel que les juges du plus haut tribunal du pays comprennent sans interprète les deux versions de ces lois.

Auteur

  • Gérard Lévesque

    Avocat et notaire depuis 1988, ex-directeur général de l'Association des juristes d'expression française de l'Ontario. Souvent impliqué dans des causes portant sur les droits linguistiques. Correspondant de l-express.ca, votre destination pour profiter au maximum de Toronto.

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