Un chanteur sous influence

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Publié 27/02/2006 par Dominique Denis

À l’écoute de À la figure (Audiogram), la première chose qui nous vient à l’esprit, c’est que Marc Déry a dû se taper l’intégrale de Pink Floyd en toile de fond à la genèse de l’album, à en juger par ses climats planants et ses tempos uniformément lents, au point où l’on frise par moment le plagiat. En revanche, on peut regretter que l’auteur-compositeur québécois n’ait pas cru bon de s’inspirer de la tension sous-jacente à l’œuvre de Waters et Cie, ce qui eut donné à sa musique le tonus qui lui fait défaut.

Joliment parée de violons et de violoncelles, ponctuée de roulements de timbales qui cultivent l’illusion symphonique, À la figure constitue l’exemple parfait d’une grosse production au service – ou à la rescousse – de petites chansons. S’il évolue dans l’ombre de Daniel Bélanger (auquel on le compare souvent), Déry ne possède ni la fibre poétique, ni le registre vocal de son homologue et ami, lequel signe ici les paroles de En septembre, peut-être le plus beau moment de l’album.

«Sa prose surréaliste puise sa source dans les événements du quotidien», dixit le communiqué de sa maison de disques. Dommage que la banalité du quotidien déborde du même coup sur chacun des textes de ce nouvel album, encou-ragée par une plume qui ne craint pas les clichés ni les rimes paresseuses («Je t’aimerai toujours, c’est sûr/Je t’aimerai toujours, je le jure») Et pour ce qui est des Surréalistes, on peut douter qu’ils se reconnaîtraient dans ces chansons qui, loin de nous provoquer à l’intelligence (selon l’expression de Ferré), nous flattent indolemment dans le sens du poil.

Mais trêve de cynisme: à une époque où tout nous pousse à craindre le pire, il est probable que le bonheur ouaté de À la figure servira de baume spirituel à ceux qui ne sont pas irrémédiablement endurcis.

Nom de Plume

À sa façon, Pépé a lui aussi plongé son seau dans le puits intarissable des 70’s, en actualisant le numéro de provoc’ qui fit naguère de Plume Latraverse un prophète dans tous les cégeps du Québec. À la fois grossier, puéril et marrant, Pépé (Philippe Proulx, sur son passeport) enfile son obscène costume d’ours rose et sa guitare acoustique pour se créer un personnage qui ose dire tout haut ce que vous et moi pensons tout bas (et un tas d’autres trucs qui ne nous viendraient jamais à l’esprit). Fakek’choz (La Tribu) lui donne l’occasion de vider son sac et en tirer deux douzaines de méchantes petites chansons, dont la plupart passent sous la barre des trois minutes.

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Ne voyant aucune contradiction entre la philosophie du bistrot et les mauvais coups de la cour de récréation, Pépé célèbre les mangeux de bines et les filles aux yeux bruns, dégonfle les détenteurs de bédaines et nous rappelle que les toilettes demeurent pour bien des gens – lui compris – le siège de la pensée. Tandis que Plume avait casé les mots «pipi» et «caca» dans la même chanson (La bienséance, pour ceux que ça intéresse), notre ours mal léché leur consacre chacun son refrain, ce qui nous donne une assez bonne idée de la teneur de cet album, si j’ose dire.

Reste à voir si Pépé sera capable de maintenir notre intérêt, une fois dissipés la surprise et l’hilarité que suscite cet album. En attendant, Fakek’choz balise un univers réjouissant, même si ce n’est pas sans honte qu’on s’y reconnaît parfois.

La familière folie Fersen

Thomas Fersen, quant à lui, se trouve confronté au problème opposé: le saltimbanque français n’a aucunement besoin d’imiter Pink Floyd, Plume ou qui que ce soit pour s’imposer. Il a déjà sa griffe, son identité, reconnaissable tant par le fond que le son, tant par la forme que le propos. Conteur au singulier talent (et au vocabulaire correspondant), son œuvre est peuplée d’animaux parlants, de squelettes qu’on invite à dîner et d’assassins qui fleurent bon la lavande. Dans le paysage de la chanson francophone, seul Higelin a l’imagination aussi et débridée.

Mais voilà: Fersen se trouve tellement chez lui dans ce monde qu’il a créé de toutes pièces, qu’il ne voit aucune raison d’en sortir. Serait-il en voie de s’auto-parodier, à l’instar de Renaud? Vaudrait-il mieux qu’il se réinvente au nom de l’Art, alors que sa douce folie lui a acquis un public fidèle des deux côtés de la mare?

Une chose est certaine, c’est qu’il n’est rien, sur Le pavillon des fous (Tôt ou Tard/Warner), qui n’eut été à sa place sur Le bal des oiseaux, son premier album qui, mine de rien, remonte à 1993. Peut-être que l’ennui relève plus de celui qui écoute que de celui qui chante, mais on a presque l’impression que la muse de Fersen opère désormais en pilote automatique. Et cette facilité vient sournoisement nous gâcher un peu du plaisir d’un album autrement impeccable.

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Avec le dos de la cuiller

En choisissant de se dénommer Runcible Spoon, clin d’œil au poète de l’absurde Edward Lear (qui inventa l’adjectif en prenant soin de ne pas en préciser le sens), le quintette torontois composé de Tania Gill au piano, Monica Fedrigo au violoncelle, Pamela Bettger à l’alto, Julia Hambleton à la clarinette et de la chanteuse Leah State, revendique le droit à une douce fantaisie, un parti-pris qui trouve écho dans sa musique.

Au carrefour du jazz et de la musique de chambre, Runcible Spoon investit les audaces de Raincoat Lake (Autoproduction) d’un onirisme délicieusement naïf et, disons-le, féminin, prêtant à chaque instrument, voire à chaque note, le relief souhaité, intégrant ses improvisations à une rigoureuse charpente, comme si l’on se trouvait dans un appartement où chaque élément du décor a été choisi en relation au tout.

Appliquée tantôt à quelques standards de jazz (I Didn’t Know What Time It Was et ses échos de Brubeck), tantôt aux compositions du groupe ou celles du brillant Andrew Downing, la démarche de Raincoat Lake frise par moments la préciosité, mais en dosant la dissonance et la plénitude, l’opacité et le minimalisme, Runcible Spoon sait nous charmer tout en évitant l’écueil de la musique d’atmosphère.

Runcible Spoon lancera Raincoat Lake le 28 novembre au Montreal Bistro (65, rue Sherbourne, 21h00, 10 $).

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