Un champignon à double tranchant

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Publié 19/08/2008 par Sylvain Sarrazin (Agence Science-Presse)

Les îles Salomon, un archipel situé au sud-ouest du Pacifique, avaient réservé une bien mauvaise surprise aux militaires, qui y avaient installé une base opérationnelle durant la Seconde Guerre mondiale. À leur grand dam, les Américains assistaient à la dégradation fulgurante de leur matériel. Des tentes et des vêtements principalement. Déjà aux prises avec l’armée japonaise, les militaires devaient dès lors se battre avec un autre ennemi… invisible celui-là. Son nom? Trichoderma reesei, un champignon plutôt singulier.

«Il s’agit d’une espèce microscopique filamenteuse, rien à voir avec un champignon de Paris!», plaisante Bernard Henrissat, qui dirige l’équipe de glycogénomique à l’Université de la Méditerranée de Marseille. «Initialement, les Américains ont voulu savoir pourquoi leur matériel se détériorait si rapidement», rappelle-t-il.

C’est ainsi que l’ennuyeux champignon fut expédié à Natick, dans le Massachusetts, où il tomba entre les mains et sous les microscopes du professeur Elwyn Reese. Publications et résultats se multiplièrent dès 1950. Le scientifique découvrit peu à peu la raison de cette voracité inhabituelle : le champignon possède une batterie d’enzymes, des cellulases aux propriétés très performantes dans la dégradation des végétaux.

«Pour vivre, ce champignon a besoin, comme tout être vivant, de nourriture. Parmi celles qu’il est capable de manger, on retrouve la cellulose. Or, il s’agit de la principale composante du coton, matière employée pour fabriquer les tentes. Votre blue-jean serait également susceptible de pourrir», explique M. Henrissat. Ce qui fait du Trichoderma Reesei un véritable organisme anti-américain!

D’ennemi à allié

Pourtant, une soixantaine d’années plus tard, celui qui a incommodé l’Oncle Sam pourrait bien lui rendre un fier service. D’une part, il est devenu au fil du temps un spécimen de choix pour la production de protéines recombinantes dans l’industrie pharmaceutique en permettant par exemple, grâce à l’introduction de ses gènes dans l’organisme, d’améliorer l’efficacité d’un médicament.

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«C’est un champignon qui se prête très bien aux modifications génétiques», évoque M. Henrissat. D’autre part, le Trichoderma Reesei s’avère être l’une des éventuelles clés de sortie de l’ère pétrolière. Celui qui était une curiosité de la nature s’est muté en grand classique pour l’obtention de biocarburant, procédé nécessitant un producteur important d’enzymes.

Grâce à sa capacité à transformer la cellulose de la paroi végétale en sucres simples, il est devenu le fer de lance de la production de bioéthanol de seconde génération. Ce dernier est généré à partir des débris végétaux de l’agriculture, comme la paille de blé.

Or, l’équipe menée par M. Henrissat vient de démontrer que seul un petit nombre de gènes est responsable de l’activité enzymatique du champignon. Les recherches portent désormais sur les améliorations génétiques qui permettront d’en faire un champion dans le domaine.

Empêcheur de guerroyer en rond hier, nouvel espoir pour sustenter les Hummers aujourd’hui, le Trichoderma reesie, à défaut de dévorer les vestes, a retourné la sienne vis-à-vis de l’Amérique…

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