Un cadeau signé Mozart

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Publié 21/02/2006 par Dominique Denis

Malgré son jeune âge – il a eu l’élégance de voir le jour un 27 janvier, il y a 30 ans, soit à la même date que Mozart – le violoniste manitobain James Ehnes jouit d’une telle notoriété internationale qu’on attend maintenant d’entendre «son» concerto de Beethoven ou «son» concerto de Brahms. Il faut dire qu’Ehnes multiplie les miracles depuis quelque temps, notamment avec un magistral doublé de Bach: l’intégrale des sonates pour violon solo, suivie du premier volume des sonates pour violon et clavecin, tous deux parus sur l’étiquette montréalaise Analekta.

Après ces pages d’une sublime austérité, Ehnes nous revient avec les cinq Concertos pour violon de Mozart (Disques SRC), lesquels offrent à l’interprète comme au public des plaisirs plus extravertis et, somme toute, plus légers. À condition, bien sûr, de tempérer ses ardeurs: sagement, le violoniste résiste à la tentation de nous en mettre plein la vue dans les mouvements plus enjoués, et de déraper dans le romantisme maniéré dans les moments de tendresse (à ce titre, l’andante du quatrième concerto est un modèle d’équilibre). Quant aux cadenzas de son cru, elles sont empreintes d’une touchante modestie qui n’exclut pas une virtuosité sans failles.

Mais le succès de l’entreprise ne tient pas seulement à un homme et son archet: s’entourant d’un «Orchestre de l’anniversaire de Mozart» qu’il dirige lui-même et dont les membres ont été recrutés parmi ses copains de l’OSM, de l’OST, des Violons du Roy ou du Detroit Symphony, Ehnes a su préserver les dimensions mozartiennes et la transparence souhaitée de ces œuvres-phare du répertoire pour violon, et qui sont d’autant plus miraculeuses qu’elles furent toutes écrites en l’espace de quelques mois, avant que le compositeur ait atteint le cap de la vingtaine.

Dans l’intimité de Mozart

Depuis le printemps dernier que j’attendais ce disque, c’est-à-dire depuis que Yannick Nézet-Séguin (alors de passage à la tête de l’Orchestre symphonique de Toronto) et la soprano acadienne Suzie Leblanc avaient régalé une poignée de critiques et de journalistes au studio Glenn Gould, le temps d’un mini-récital Mozart. Et depuis sa parution, Mozart Lieder (ATMA/Distribution SRI) n’a pratiquement pas quitté mon lecteur cd, me lavant invariablement l’âme des souillures du quotidien.

En associant le lied allemand au triumvirat Schubert-Schumann-Brahms (et donc au XIXe siècle), on tend à oublier les contributions de Mozart à ce genre originellement destiné à la sphère domestique.

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Du coup, ces œuvres dont il parsema son parcours (de An die Freude, ou «À la joie», composée en 1768, à l’âge de… 11 ans! jusqu’au bouleversant Dar Lied Der Trenning, «le chant de la séparation», créé l’année de sa mort) n’ont jamais souffert de surexposition, et leur pouvoir d’enchantement s’en trouve décuplé, surtout entre les mains de musiciens qui ont compris qu’ici, l’émotion est le fruit du recueillement. L’intimité du répertoire est bien servie par l’accompagnement fort attentif de Nézet-Séguin, mais aussi par son choix d’instrument (un fortepiano au timbre juste assez feutré, plutôt qu’un piano moderne), ce qui donne à Suzie Leblanc l’occasion de mettre en valeur la délicieuse fluidité de son phrasé. Il nous reste à souhaiter que cette grande spécialiste du Baroque poursuive sa lancée pour explorer le répertoire du trio précité.

Le fantôme de Gould

Lorsque Glenn Gould avait choisi, en 1956, d’inaugurer sa carrière discographique avec les Variations Goldberg de Bach, plusieurs avait cru au suicide professionnel. Pourquoi un artiste destiné à la célébrité jetterait-il son dévolu sur une partition empoussiérée, voire aride, qui semblait si loin des canons romantiques de l’époque?

L’histoire, bien sûr, donna raison au pianiste canadien, qui révolutionna, en deux faces d’un légendaire microsillon, notre façon de concevoir de la musique de Bach, jusque-là abordée avec une austère «fidélité» par le biais du clavecin, ou encore à travers le spectre du XIXe siècle et de ses épanchements romantiques. Cinquante ans plus tard, voici qu’un autre pianiste, suisse, celui-là, fait des Variations l’objet de son enregistrement inaugural. Et la question que l’on souhaiterait poser à Cédric Pescia est: pourquoi diable avoir choisi une œuvre qui est désormais si intimement associée à Gould qu’on ne pourra écouter ces Goldberg Variations (Claves / Distribution Interdisc) qu’en relation à la version précitée?

Une explication plausible: Pescia a décidé de s’attaquer aux Variations Goldberg parce qu’il possède la dextérité et la précision quasi-chirurgicale pour servir cette œuvre dont la polyphonie exige une autonomie totale des deux mains. Tout comme Gould, Pescia est fasciné par l’inépuisable capacité d’invention de Bach et, comme Gould, il privilégie un jeu «sec» (c’est à peine si le pied effleure la pédale), se lançant dans les passages rapides avec une confiance absolue en ses moyens et un plaisir jouissif – les couinements gouldiens en moins! Et lorsque la main gauche commet une trille pâteuse par-ci par-là, on en est presque reconnaissant: sans cela, on aurait pu croire à un numéro de mimétisme.

L’effet d’ensemble force le respect, voire l’admiration, même s’il ne trahit pas le même état de «lucidité mystique» (le terme est du cinéaste français Bruno Monsaingeon) qui se dégageait de l’interprétation de Gould, et particulièrement de sa seconde version des variations, celle de 1980, presqu’insoutenable dans son dénuement.

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Pour entendre Bach autrement, certains préféreront l’approche plus charnelle d’une Angela Hewitt, par exemple, mais il demeure qu’avec ces Variations Goldberg, Cédric Pescia s’impose d’emblée au rang des interprètes qui possèdent l’intelligence permettant d’entrer à l’intérieur de la partition – et la générosité de nous entraîner, ravis, dans son sillage.

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